Kamel, 30 ans, ingénieur en géophysique au chômage, a tapé à toutes les portes, entraîné à la valse des candidatures, des mises en page de cv, et des réseaux de bouche à oreille. Il traque, l'ouïe affûtée, toute nouvelle offre d'emploi sur Internet, dans la presse écrite ou dans les cafés. Surtout dans les cafés. C'est d'ailleurs à un comptoir, au détour d'une grille de mots fléchés, que le jeune homme s'est résigné, il y a quelques semaines, à l'idée de ne jamais exercer son métier de géophysicien. «Imaginez un médecin dans un pays où personne ne tombe malade», lance-t-il, le regard désabusé. «Pendant mes études, j'ai été conditionné à un métier, convaincu que je serai utile. Aujourd'hui, j'ai l'impression de m'être fait avoir», poursuit-il, l'air déçu, convaincu que son bac n'aura servi à rien. «Ne me parlez plus de géophysique», lâche-t-il colérique. Kamel pourrait se consoler en se disant que son cas n'est pas isolé, méditant le fait que l'Université ne garantit pas «l'insertion par l'emploi» que prônent actuellement les membres du gouvernement. Mais il ne parvient pas à admettre le fossé qui se creuse entre le mythe d'une Université créatrice d'emplois et une réalité économique bien amère, où les diplômés chômeurs pourraient se compter par milliers. «L'Université n'est plus considérée comme une force socio-économique par notre gouvernement, mais comme une force socio-politique», confie un professeur à USTHB. «L'antichambre du chômage, une manière de désengorger les chiffres de l'emploi» ajoute-t-il. Kamel a compris qu'il lui fallait tout recommencer de zéro. La formation professionnelle ou encore le dispositif Ansej semblent être les alternatives les plus viables. Pour lui, un véritable parcours du combattant commence. Formation professionnelle vs Ansej «Lorsque je suis allé au bureau de l'Ansej, les agents de l'accueil ne m'ont pas pris au sérieux.» Kamel aurait fait face à l'incompréhension. «Tu veux un crédit pour une station pétrolière ?», lui répond-on dans une salle d'attente quasi pleine où, selon Kamel, «se bousculaient sans aucun ordre de passage des dizaines de jeunes de tous profils». «Sinon, je ne vois pas ce que tu peux faire avec ce diplôme, tu as une quelconque autre formation ?» lui rétorque encore l'agent à l'accueil. «Mon diplôme est inutile si on ne connaît pas le numéro personnel de Chakib Khelil, même son téléphone doit être en dérangement ces derniers temps», s'exclame le géophysicien, gardant le sourire malgré sa déception. Il opte finalement pour une formation en menuiserie. Kamel compte se lancer dans la fabrication de meubles. «Il paraît que ça rapporte bien», s'enthousiasme-t-il. Mais c'est aussi et surtout parce que le projet pourrait contenter la commission de crédit de l'Ansej. Le jeune homme n'est pas au bout de ses peines. Dans l'un des 1200 centres de formation professionnelle, près de Birtouta à Alger, il apprend, stupéfait, que l'âge d'inscription ne saurait dépasser 25 ans. Un son sourd résonne en lui à cet instant, ses projets semblent s'effriter. Rassemblant ce qui lui reste d'élan, il demande à parler à un responsable. Un responsable du CFP de Birtouta le confirme et ajoute : «Le ministère vient d'annoncer un décret portant l'âge limite à 30 ans». «Soit, rétorque Kamel, j'arrive encore une fois trop tard, j'ai bouclé mes 30 ans il y a à peine quelques semaines» ; son orgueil en prend un coup. Son entrain aussi. Il quitte les bureaux silencieux. Chemin inverse La question reste donc en suspens : que doit faire Kamel ? Repasser son bac, à 30 ans, en candidat libre afin d'entamer à nouveau des études universitaires dans une filière éligible à l'octroi du crédit Ansej ? Ou encore choisir une autre forme de crédit ? Le «crédit familial», par exemple : quelques dizaines de milliers de dinars amputés d'un maigre couffin familial. Une alternative salvatrice pour avoir accès à une formation payante dans l'une des nombreuses écoles privées qui font florès à travers le territoire national. Un chemin inverse absurde : avoir de l'argent pour accéder au savoir, se servir de ce nouveau savoir pour accéder à un crédit Ansej, et enfin décrocher un crédit Ansej pour avoir de l'argent et rembourser ses dettes. La boucle est bouclée. De ses mésaventures, Kamel retiendra que l'extraction du pétrole n'a rien à voir avec la géophysique, que les charpentiers de ce système n'ont rien à voir avec des menuisiers, mais surtout qu'il est tout de même probable qu'il fabrique les futures chaises sur lesquelles ils seront assis.