Contre toute attente, compte tenu des accusations de corruption dont il a été accablé, avec ses proches, le Premier ministre turc vient de bénéficier d'un large et inespéré soutien populaire. Les premiers résultats partiels, publiés hier en début de soirée, donnaient en effet la mesure de cette nouvelle vague de l'AKP qui a (r)emporté près de 50% des suffrages exprimés, soit 48% au niveau national, selon les dépouillements dans 18% des bureaux de vote. A l'heure où nous mettons sous presse, les résultats finaux n'étaient pas tombés, mais la tendance vers une victoire nette et sans bavure de l'AKP était incontestable. Du coup, ce sont les espoirs de l'opposition, certes très faible en Turquie, de voir le pouvoir d'Erdogan ébranlé, qui s'évaporent. Et, cerise sur le gâteau pour le sultan Premier ministre, son parti trônait également en tête dans les deux plus grandes villes du pays, Istanbul et Ankara. La victoire dans ces deux mégapoles, qui totalisent presque le tiers de la population turque, au-delà de son caractère symbolique, signe l'attachement de larges secteurs des 52 millions d'électeurs au gouvernement de l'AKP et confirme leur soutien à la politique d'Erdogan. Le fait est que ce score impressionnant, qui plus est réussi dans un contexte politique défavorable, est meilleur que celui réalisé en 2009, c'est-à-dire 38,8% des suffrages. Il se rapproche même de la victoire écrasante réalisée lors des législatives de 2011, quand l'AKP avait triomphé avec presque 50% des suffrages. C'est dire que, sous réserve de la confirmation de cette tendance victorieuse, Erdogan et son parti ont réussi à défier la rue, les opposants politiques mais aussi la puissante confrérie religieuse de Fethullah Gullen. Hier, au moment de glisser son bulletin dans l'urne à Istanbul, M. Erdogan était très serein. «En dépit de toutes les déclarations et de tous les discours prononcés jusque-là pendant la campagne, notre peuple dira la vérité aujourd'hui», a-t-il déclaré. «Ce que dit le peuple est ce qui est et sa décision doit être respectée.» La Sublime Porte Il faut croire qu'il n'a pas eu tort puisque les urnes ont confirmé, dans une large mesure, son assurance. Le «grand homme», comme l'appellent ses partisans, sort grandi de ce test populaire. Et si l'ampleur de la victoire se confirme, R. T. Erdogan devrait logiquement caler ses ambitions politiques à l'aune de son aura retrouvée par les urnes. Au pouvoir depuis 2002, cet islamiste BCBG qui a réussi à devenir fréquentable, y compris au sein du monde occidental, aura désormais les coudées franches pour forcer le destin et s'ouvrir la Sublime Porte vers la présidence de la République turque, dont le scrutin aura lieu au mois d'août prochain. Mais pour y parvenir, il devra patienter le temps d'effectuer une réforme constitutionnelle pour transformer ce poste honorifique, occupé par Abdullah Gül, en véritable chef d'Etat avec les pleins pouvoirs. En attendant, M. Erdogan pourra toujours garder son fauteuil de Premier ministre jusqu'aux législatives de 2015. Une chose est certaine : cet homme de pouvoir, âgé de seulement 60 ans alors qu'il dirige la Turquie depuis dix ans déjà, est déterminé à coupler ses succès économiques à son ambition personnelle d'être le «sultan» ou encore le «calife» des temps modernes, dans un monde arabo-musulman embourbé dans des printemps… pluvieux.