-Quelle a été votre première réaction à l'annonce des affrontements sanglants entre deux tribus dans la région d'Assouan ? Cela m'a d'abord renvoyée aux commentaires que j'ai pu recevoir quand j'ai fait savoir que je voulais reprendre un projet de recherche sur les tribus et leur identité. On m'a dit que c'était un sujet «orientaliste». Mais pour moi, c'est l'expression d'un déni. Ce qui s'est passé à Assouan n'est pas une surprise. Cette histoire nous rappelle qu'il y a une diversité de la population égyptienne qui s'exprime de manière violente. Les affrontements ont opposé deux composantes marginalisées, les Nubiens, forcés de migrer à partir des années 1960, et la tribu historique des Bani Helal, acteur central de la conquête musulmane de l'Egypte au VIIe siècle. Cette tribu arabe et plus largement la région de la Haute-Egypte, sont discriminées dans les médias égyptiens. J'ai en tête une ancienne histoire. En 1998, à Louxor, trois membres des Bani Helal avaient détourné un avion de touristes. Leurs revendications : la libération de la Palestine et la reconnaissance de leur tribu. A l'époque, personne n'avait noté leur volonté d'être reconnus dans l'histoire nationale égyptienne. -Les médias ont rapporté l'existence d'un différend entre deux tribus. Dans quelle mesure cette partie de l'Egypte est-elle toujours tribale? La tribu arabe (Al Qabila) a structuré l'histoire du peuplement de l'Egypte depuis la conquête arabe. La Haute-Egypte a maintenu cette structure tribale, même si, depuis le XIXe siècle et la politique de Mohamed Ali, il y a eu une volonté de contrôler ses territoires et de les ramener dans le giron de l'administration centrale. -Ce qui s'est passé à Assouan est-ce dû à l'absence de l'Etat et la détérioration de ses prérogatives dans cette région? Les Bani Helal, comme les Nubiens, sont des composantes marginalisées sur tous les points. Ils se trouvent en marge du territoire égyptien, loin de l'administration du Caire. La région d'Assouan a toujours été le parent pauvre du développement touristique en Haute-Egypte, contrairement à sa voisine Louxor. Les violences ont eu lieu à la périphérie de la ville d'Assouan, dans des quartiers urbains récents dans lesquels tous les facteurs s'emboîtent les uns dans les autres : la marginalisation urbaine, économique et politique à laquelle viennent se greffer d'anciens contentieux entre tribus. -La police a dû négocier avec les leaders des tribus pour espérer ramener le calme. Qu'est-ce que cela prouve au sujet de la situation sécuritaire en Haute-Egypte ? L'insécurité qui y règne s'observe dans toutes les marges territoriales du pays. La Haute- Egypte n'est pas une exception. La non-intervention de la police dans un premier temps peut avoir plusieurs explications. Les populations de Haute-Egypte sont connues pour résister aux administrations centrales. Au lieu de faire appel à la police, elles vont recourir à des dispositifs de médiation qui relèvent du droit coutumier. Ce dernier s'avère, dans beaucoup de cas, un garant de paix sociale. -Selon les dernières informations relayées dans les médias gouvernementaux, il s'agirait d'une vengeance. La culture de la vendetta est-elle plus forte dans cette partie du pays ? Cela renvoie à des stéréotypes que Le Caire véhicule sur la Haute-Egypte. Bien sûr, il y a les faits : des vengeances ont lieu dans cette partie du pays. Mais on les retrouve ailleurs en Egypte. Aucune étude n'a encore été faite pour quantifier ce phénomène. Ce qui s'est passé à Assouan nous rappelle que les stéréotypes sur la Haute-Egypte ont la vie dure. Pour preuve, la couverture des affrontements par les médias égyptiens. On se trouve toujours entre les faits et une reproduction du discours sur une région stigmatisée.