Plus la combine est grosse, plus elle prend la forme d'une vérité absolue. Le coup de force est d'une force telle qu'on se sent privé de force. On est en pleine tragicomédie. Rire ou pleurer ? Finalement peu importe. La conscience demeurant intacte face au ridicule poussé à son paroxysme. On vient de nous révéler une technique révolutionnaire de comptage : la répartition des suffrages à partir d'un résultat préétabli. Une construction par le haut, une élection à l'envers où le mandataire choisit le mandant. Un brevet d'invention mériterait d'être décerné. C'est le seul à mettre sur le compte de nos décideurs. Si tant d'ingéniosité avait été investie dans la gouvernance, le pays se serait certainement porté beaucoup mieux. Cependant, un détail pour le moins affligeant ne peut être passé sous silence. Il s'agit du résultat attribué à Louisa Hanoune. Pourtant, Dieu sait qu'elle ne s'est pas ménagée tout le long de la campagne au point d'oublier son propre statut de candidate pour se consacrer corps et âme à la promotion du candidat absent. Certes, à chaque farce son dindon. Mais il y a la manière. Il est temps de revenir aux choses sérieuses comme dirait l'autre. En effet, un attentat à la souveraineté populaire vient d'être perpétré par les tenants du statu quo. Ce faisant, la caste présidentielle a franchi un pas fatidique. Un véritable détournement de l'histoire vient de se produire. Au moment où les peuples s'affranchissent, les blocs régionaux se constituent et les alliances stratégiques se nouent, notre pays reste otage des turpitudes d'une minorité antinationale, corrompue et à contresens du mouvement mondial. Lors de la campagne, on nous a promis monts et merveilles. Lutte contre la corruption, développement, démocratie et bien d'autres choses de ce genre. C'est parfait. Dans ce cas, seriez-vous disposés, comme premier pas, à relancer la procédure du mandat d'arrêt contre Chakib Khelil et à ouvrir une enquête sur le compte bancaire et les biens immobiliers à l'étranger du secrétaire général du FLN ? Seriez-vous prêts à souscrire sans ambiguïté à la tenue d'une conférence nationale sur la transition démocratique ? Pour ma part, je ne nourris aucune illusion. J'ai l'intime conviction que ce quatrième mandat est le prélude à un drame aux conséquences incalculables. La guerre à l'intérieur du système va connaître une accentuation. De même la conflictualité dans la société. Le peu de ressources disponibles, loin de servir à la réindustrialisation du pays, continueront à grossir la situation patrimoniale des laudateurs. La situation des libertés ne risque pas de connaître un mieux, le score à la soviétique excluant toute autre médiation en dehors du pouvoir. Il faut s'attendre au pire. Une chute, aussi petite soit-elle, des rentrées pétrolières, va précipiter le pays dans une crise sans précédent. Aussi, ce nouveau coup de force ne doit aucunement inciter à la désaffection. Bien au contraire, il doit susciter encore plus d'engagement et de clairvoyance. Au-delà des comportements adoptés vis-à-vis de cette élection et des résultats concoctés, elle a été incontestablement un moment politique de grande intensité. Un large débat ponctué d'analyses, de propositions et d'échanges fructueux. Un consensus s'est dégagé sur la nécessité d'aller au plus vite à une transition démocratique. Il reste juste à lui donner une traduction politique. Hélas, ce qui devait constituer un tournant historique a tourné au cauchemar. Les raisons sont multiples. Nous avons sous-estimé la capacité du système à se régénérer. Car même divisé, il n'a rien perdu de son instinct de survie. Comme nous avons sous-estimé le pouvoir de l'argent et l'effet inhibiteur de la peur sur les imaginaires. La société est déstructurée, dépolitisée et traumatisée par des années de violence et de propagande. L'opposition est affaiblie, dispersée et peine à se poser en véritable alternative au système autoritaire. Nous sommes aujourd'hui devant de nouvelles responsabilités. Les mésententes momentanées au sujet de cette élection n'ont plus leur raison d'être. L'heure n'est pas à la lamentation ni aux divisions, mais à la convergence. Il faut faire de cette péripétie un instant de rétrospection pour un nouveau départ. Le clivage réel et irréductible est celui qui sépare les patriotes sincères, soucieux du devenir du pays, et la caste des malfrats dont le seul mobile est d'enlever à la nation son présent et son avenir. La transition démocratique n'est pas un luxe. C'est une nécessité historique et y déroger serait hypothéquer les chances de développement du pays et condamner les générations futures à la déchéance. Le pouvoir, dans toutes ses composantes, doit savoir que l'Algérie n'est pas condamnée à vivre indéfiniment au rythme des coups de force. Sans légitimité populaire, il ne saurait y avoir de légalité consentie et respectée. Un mandat subtilisé dans les pures techniques du hold-up donne caution à toute forme de dissidence. Une note d'espoir : on fête aujourd'hui le 34e anniversaire du Printemps berbère. Tant d'années nous séparent de cet événement historique fondateur du combat démocratique et notre pays demeure toujours sous le joug de l'autoritarisme. On mesure l'ampleur du gâchis. Une halte pour un ressourcement s'impose.