Le devoir de mémoire et de vérité interpelle tous les Algériens à débattre d'une mise à jour d'une omission capitale dans un créneau important de notre récente histoire de la lutte pour l'indépendance. Cette omission consciente ou inconsciente constitue un vide, qui a fait se rompre le fil de l'histoire, ouvrant ainsi la porte aux dénis et à la falsification. Je voudrais rappeler un cas de référence pour faire un état des lieux qui étayera la démarche pour la recherche du rôle de la société civile et sa contribution dans la démocratie participative du pays.Il s'agit du dossier brûlant des massacres du 8 Mai 1945 et des deux mois qui suivirent, où 45 000 hommes furent massacrés sauvagement par les milices de l'autorité coloniale, pour avoir défié l'ordre établi en organisant des marches populaires et pacifiques : pour des revendications identitaires, de liberté et d'indépendance d'un peuple opprimé dans ses droits et renié dans son existence même. Ces soulèvements populaires justes et légitimes ont réveillé la détermination d'un peuple à s'affranchir du joug colonial pour recouvrer son indépendance et s'affirmer aux yeux du monde en tant que peuple libre. Ces Algériens assassinés étaient portés disparus par l'autorité coloniale pour masquer ses crimes. L'Etat français a eu recours à la «raison d'Etat» pour s'interdire la reconnaissance des massacres et épargner sa responsabilité tout en protégeant leurs auteurs. Cet Etat colonial a même osé «dans l'impossibilité de régulariser l'état civil des disparus à recourir à des règles juridiques musulmanes pour enterrer les crimes et dénier la réalité des morts à leurs parents» (Raison d'Etat, déni et impunité dans Guelma 1945 de Jean-Pierre Peyroulou). La France, qui jouait son adhésion à la signature de la Charte des Nations unies sur les principes des droits de l'homme et le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, craignait le désaveu de ses alliés. Ainsi l'Etat colonial s'est soustrait à ses responsabilités en abandonnant la question entre les cadis de l'époque et les parents des morts. Cette situation demeure à ce jour en l'état et les morts sans sépulture et sans deuil sont toujours vivants sur les registres de l'état civil algérien de leurs communes. Mais, ce qui reste encore intolérable est le déni de droit à ces sacrifiés de ne pas être reconnus par l'Etat algérien dans leur qualité de chouhada, morts pour la patrie.Ils sont ignorés également par la loi n°91-16 du 14 septembre 1991 sur le moudjahid et le chahid qui ne retient dans son article 14 que ceux qui ont été internés et qui ont survécu aux massacres mais pas ceux qui y ont péri. Ces morts, qui n'ont pas eu le privilège de vivre un jour d'indépendance, sont toujours oubliés. Aux grands hommes la patrie reconnaissante. Voilà un cas de référence vécu et que vit encore la société algérienne ; un cas d'essence politique mais juridique et administrative dans son état, pour lequel ni la société civile, ni les partis politiques, ni l'Etat n'ont eu d'empressement à le solutionner.