Ces derniers temps, l'image de Kheiredine Ameyar nous est souvent présente. Il est vrai que lui aussi était proche d'amis chers comme Osmane, Ziad, Hocine qui nous ont quittés tout récemment et presque simultanément. L'intelligence de Kheiredine, ses connaissances, sa voix haute, son rire tonitruant et surtout son humour nous auraient certainement aidés à passer ces moments difficiles chargés de peine et de douleur. L'histoire qu'il nous a racontée quelque temps avant sa disparition dramatique et précoce en dit long sur son rapport à la vie et la philosophie. Nous aurions pu présenter aujourd'hui cette histoire sous la forme d'une fable avec comme titre : L'homme et la souris.Elle aurait pour morale : «C'est toujours chez les plus petits qu'on trouve courage et solidarité !» Mais nous préférons donner à notre texte la forme d'un récit à dimension satirique. C'est donc l'histoire d'un citoyen banal, citoyen x comme aurait dit l'ami Carlos, travailleur et solitaire, qui se rendait tous les jours, sauf le week-end, à un bistrot proche de chez lui pour siffler quelques bières. Dans ce bistrot, il aimait se retrouver seul, toujours pensif et parfois mélancolique. Un jour, il s'aperçut qu'une petite souris maigre et toute menue venait à ses pieds régulièrement et, plus encore, qu'elle léchait les quelques gouttes de bière qui tombaient sur le sol pas très propre, jonché de mégots et de papiers gras, gouttes de bière qu'il laissait tomber volontairement et de plus en plus. Cette souris se mit même à le suivre et à l'accompagner lorsqu'il rentrait chez lui. Intelligente et futée, elle découvrit que notre ami, dans sa marche, n'évitait ni les trous ni les bosses de la route défoncée et non éclairée. Elle décida alors de le précéder pour lui indiquer le bon trajet et, une fois assurée qu'il était bien rentré, elle rebroussait chemin pour retourner à son gite. Un soir, l'incident que notre citoyen redoutait finit par arriver. Il avait pourtant bien expliqué à sa femme qu'il n'était pas d'accord avec l'installation de la nouvelle porte d'immeuble fermée à double tour, ni avec celle des barreaux qui «fleurissaient» aux fenêtres, rendant leur immeuble encore plus laid et rebutant. Il aurait préféré un peu plus de verdure, de fleurs et de liberté, mais sachant qu'il n'arriverait à convaincre personne, même pas sa femme, il s'était résolu à payer sa quote-part des travaux et s'était tu. Ce soir-là, il se retrouva donc, toujours en compagnie de la souris, devant son immeuble, porte blindée et fermée et lui sans ses clés, oubliées quelque part.Il appela sa femme à haute voix et à plusieurs reprises, car il savait qu'elle était endormie, assise sur le fauteuil du salon devant la télé allumée. Alors que plusieurs voisins jetaient un coup d'œil de leur fenêtre entrebâillée, l'un d'entre eux, excité et énervé, l'injuria en l'accusant de tapage nocturne. Les injures devenant de plus en plus fortes, notre ami lui demanda de se taire, de ne pas faire de tapage lui aussi, et de descendre tout simplement pour s'expliquer avec lui d'homme à homme. C'est là que la souris, prenant son courage à deux mains, ajouta à son tour : «Et si vous avez un chat, qu'il descende avec vous !» Ces propos calmèrent l'énergumène. Sur ce, quelqu'un arriva avec les clés, la porte s'ouvrit et notre citoyen rentra chez lui. La souris prit le chemin du retour, en pressant le pas tout de même, et en se demandant inquiète : «Et si le chat était un peu plus ‘‘redjla'' que son propriétaire ?». Eclats de rire de Kheiredine et fin.