C'est à notre ami Carlos, de son vrai nom Salah Eddine Sassi, que nous empruntons le titre de notre chronique, celui-là même de son premier et unique film, Mouatan Flène, réalisé en 1970, et dans lequel il osa filmer le soleil en gros plan. Nous aurions pu traiter notre sujet d'aujourd'hui sous la forme d'une fable avec comme titre L'homme et la souris. Elle aurait pour morale : “C'est toujours chez les plus petits qu'on trouve courage et solidarité !” Mais nous préférons donner à notre texte la forme d'un récit à dimension satirique. C'est donc l'histoire d'un citoyen banal, travailleur et solitaire, qui se rendait tous les jours, sauf le week-end, à un bistrot proche de chez lui pour siffler quelques bières. Dans ce bistrot, il aimait se retrouver seul, toujours pensif et parfois mélancolique. Un jour, il s'aperçut qu'une petite souris venait à ses pieds régulièrement et, plus encore, qu'elle léchait les quelques gouttes de bière qui tombaient sur le sol, un sol pas très propre, jonché de mégots et de papiers gras. Cette souris se mit même à le suivre et à l'accompagner lorsqu'il rentrait chez lui. Intelligente et futée, elle découvrit que notre ami, dans sa marche, n'évitait ni les trous ni les bosses de la route défoncée et non éclairée. Elle décida alors de le précéder pour lui indiquer le bon trajet et, une fois assurée qu'il était bien rentré, elle rebroussait chemin pour retourner à son gîte. Un soir, l'incident que notre citoyen redoutait finit par arriver. Il avait pourtant bien expliqué à sa femme qu'il n'était pas d'accord avec l'installation de la nouvelle porte d'immeuble fermée à double tour, ni avec celle des barreaux qui “fleurissaient” aux fenêtres, rendant leur immeuble encore plus laid et rebutant. Il aurait préféré un peu plus de verdure et de fleurs, mais sachant qu'il n'arriverait à convaincre personne, même pas sa femme, il s'était résolu à payer sa quote-part des travaux et s'était tu. Ce soir-là, il se retrouva donc, toujours en compagnie de la souris, devant son immeuble, porte blindée et fermée et lui sans ses clés, oubliées quelque part. Il appela sa femme à haute voix et à plusieurs reprises, car il savait qu'elle était endormie, assise sur le fauteuil du salon devant la télé. Alors que plusieurs voisins jetaient un coup d'œil de leur fenêtre entrebâillée, l'un d'entre eux, excité et énervé, l'injuria en l'accusant de tapage nocturne. Les injures devenant de plus en plus fortes, il lui demanda de se taire, de ne pas faire de tapage lui aussi, et de descendre tout simplement pour s'expliquer avec lui, d'homme à homme. C'est là que la souris, prenant son courage à deux mains, ajouta à son tour : “Et si vous avez un chat, qu'il descende avec vous!” Ces propos calmèrent l'énergumène. Sur ce, quelqu'un arriva avec les clés, la porte fut ouverte et notre citoyen rentra chez lui. La souris prit alors le chemin du retour, en pressant le pas tout de même, et en se demandant inquiète : “Et si le chat était un peu plus "redjla" que son propriétaire ?” PS : Nous apprenons cette semaine, avec beaucoup de tristesse, la disparition de notre ami et ex-collaborateur Lakhdar Arab. Durant plus de trente ans, nous avons parcouru ensemble les routes de notre pays, visité nos villes, accompagnés de centaines d'artistes, cinéastes, comédiens et écrivains. Nous tenons aujourd'hui à saluer la mémoire de celui qui nous a toujours menés à bon port et à présenter nos sincères condoléances à sa famille. B.K. [email protected]