Quelles ont été grandes notre tristesse et notre déception lorsque nous avons appris que Constantine allait être capitale de la culture arabe en 2015, alors que cette ville extraordinaire, à nulle autre pareille, n'a qu'une vocation, celle d'être la capitale de la culture amazighe, culture à laquelle elle aurait apporté grandeur et splendeur. Quel dommage et quel gâchis ! Il nous reste tout de même un petit espoir, celui de croire que les responsables de cette manifestation ne renouvelleront pas le fiasco d'«Alger, capitale de la culture arabe» en cinéma, car déjà les innombrables films financés à cette occasion ont disparu et aucun d'eux n'est resté dans la tête d'un citoyen. Notre chronique de ce jour nous en dit long sur le climat qui régnait pour ces manifestations opportunistes. Le jeune homme qui nous raconte cette histoire est un fils de bonne famille, né au début des années 1970. L'Algérie construisait alors ses institutions éducatives avec deux objectifs essentiels : démocratiser l'enseignement et redonner à la langue arabe une place centrale. Ainsi, beaucoup d'enfants scolarisés en langue française, au début de leur cursus, ont dû continuer leur scolarité en langue arabe. C'est ce qui arriva à notre jeune homme. Après ses années d'école maternelle, où toutes les activités se faisaient en langue française, il entra à l'école primaire où l'enseignement était entièrement arabisé. L'enfant de six ans qu'il était alors fut quelque peu déboussolé. Mais cette situation ne dura pas grâce à une femme, une seule, une institutrice belle et dévouée, qui ne ménagera pas ses efforts. Cette institutrice, notre jeune homme ne l'a jamais oubliée. Devenu adulte et cinéaste, il décide de lui rendre hommage dans un court métrage, dont il écrit le scénario. Profitant de la manifestation «Alger, capitale de la culture arabe», il le dépose, confiant et sûr de lui, auprès de la commission chargée d'évaluer et de retenir les scénarios de films ouvrant droit au financement de leur réalisation. Malheureusement, le texte de notre ami n'a pas été retenu. Pourquoi ? Cette question, nous nous la posons encore aujourd'hui, alors que les lampions de cette année dite culturelle se sont éteints. Mais revenons au contenu du film qui n'a donc pas été réalisé et dont le titre est : A la recherche de mon institutrice. L'auteur du scénario, notre ex-collaborateur et toujours ami, Abdenour Zahzah, reste résolument optimiste. Il est convaincu que son film existera un jour. Voici ce qu'il nous a dit : «Après la maternelle, où j'étais chouchouté car nous étions très peu d'enfants à la fréquenter, je rentre à l'âge de six ans à l'école primaire. C'était la plus grande école de Blida. Mon père, ex-joueur de la fameuse USMB, voulait absolument que j'aille à la même école que lui. Les premiers temps, j'étais perdu tant les lieux étaient immenses, les élèves nombreux et remuants. De plus, les plus grands impressionnaient terriblement les petits. J'ai quand même pu surmonter mes angoisses et me faire accepter, car j'étais un bon joueur de foot. Mais en classe, j'avais un gros handicap. Je n'arrivais pas à me hisser à la hauteur de mes camarades, parce que j'avais des difficultés à m'exprimer en langue arabe. Et cela me donnait des complexes. Mon institutrice le remarqua immédiatement. Patiente et pédagogue, elle m'aida avec amour et attention à apprivoiser la langue arabe et à la faire mienne. Les premiers mois, elle m'accordait souvent une demi-heure de plus pour renforcer mes apprentissages de la journée. Je me souviens de mon impatience à quitter chaque matin le doux cocon familial pour retrouver mon école et ma chère institutrice. C'est grâce à elle que j'ai découvert le grand poète Mahmoud Darwich. En fin d'année, elle nous avait fait apprendre quelques vers de l'un de ses poèmes au titre si simple : A ma mère. Ces vers me trottent encore dans la tête : ‘‘Je me languis du pain de ma mère / du café de ma mère / des caresses de ma mère / jour après jour / l'enfance grandit en moi…''. Je n'ai plus revu mon institutrice car elle a quitté l'école au terme de cette année- là.» Après cette plongée dans son enfance, notre cinéaste nous explique que dans son scénario, son personnage, devenu homme, part à la recherche de son institutrice. Il fait un long chemin qui commence à l'école primaire où elle enseignait. Puis, il se rend à l'immeuble où elle habitait et interroge les voisins. Ensuite, c'est Alger. Après maintes recherches, il retrouve sa trace dans une école d'un quartier périphérique où on lui apprend qu'elle a quitté le pays. Il va alors poursuivre sa quête à Tunis, après une halte à Tébessa, et de là s'envole vers le Liban. Arrivé à Beyrouth, il se déplace beaucoup et interroge sans cesse. De plus en plus inquiet, il finit par arriver dans un camp de réfugiés. Et là, il reçoit en pleine figure cette terrible nouvelle : son institutrice a été assassinée lors des massacres de Sabra et Chatila. Sa première institutrice, cette femme merveilleuse qui lui avait fait don de la langue arabe, était palestinienne !
P. S. : depuis et heureusement A. Z. a réalisé deux films de qualité : Garagouz et El Oued L'oued, grâce à sa volonté et son talent.