Les deux lettres de Djamila Bouhired, reproduites intégralement dans l'édition d'El Watan d'hier, ont suscité beaucoup d'émoi à Oran, notamment chez les anciens moudjahidine, du moins ceux qui, comme elle, n'ont pas monnayé leur engagement passé pour l'indépendance de l'Algérie. « Je ne l'ai jamais rencontrée, mais c'est pourtant comme si je l'avais connue », déclare un ancien résistant oranais qui a opté, après réflexion, pour l'anonymat. « Nous partagions un mur de séparation à la prison d'El Harrach, car il y avait une cour pour les femmes et une autre pour les hommes. Nous étions toute une bande d'hommes d'un côté, à l'exemple de Yacef Saâdi ou Khemisti et les femmes de l'autre. Nous échangions des ‘‘biftons'' (des petits billets pour communiquer au sujet de la cause) par-delà le mur, et si nous entendions et reconnaissions parfois des voix, nous ne voyions par contre pas les visages », ajoute cet ancien condamné qui estime que Djamila Bouhired est une femme très intelligente, très engagée et qui a beaucoup de dignité, « le nif », selon sa propre formulation. Comme première réaction à la lecture des deux lettres, une réunion spontanée a été organisée. « C'est le journal El Watan qui nous a réunis. Nous étions une dizaine de frères, essentiellement des anciens résistants ou du MALG à se regrouper pour discuter des possibilités de venir en aide à cette grande dame en organisant une quête, en sollicitant par exemple l'association des anciens condamnés à mort, etc ». Cet aspect humanitaire étant résolu, car tout le monde a voulu apporter sa contribution pour faire avancer le projet, une discussion d'ordre politique a néanmoins suscité un débat. « Tout le monde fait de la politique et le cri de colère de Djamila Bouhired ne peut pas échapper à cet aspect des choses, sachant en plus que la publication de ces deux textes coïncide avec l'intervention dans les mêmes colonnes de Abdelhamid Mehri, une personnalité importante de la vie politique nationale et qui n'est pas comparable à n'importe quel cadre du FLN », estime le même interlocuteur, qui va plus loin en affirmant : « Les gens savent ou croient savoir qu'El Watan ne publie pas ce genre de communiqués gratuitement, notamment deux jours à peine après un dossier consacré aux enquêtes sur des malversations présumées qui entourent les grands projets tels l'autoroute Est-Ouest. » Pour lui, résumant la conclusion de ses pairs, « la question est : est-ce que tout cela ne cacherait pas quelque chose ? » Une manière de dire que les propos de l'ancienne moudjahida ne concernent pas seulement un appel pour une aide concernant sa maladie, mais aussi un appel pour une meilleure gouvernance. « Ce qu'elle a dit, nous le ressentons tous, mais elle a eu le courage de le dire », poursuit-il parlant de « la plupart des vrais moudjahidine qui se retrouvent dans le même cas que Djamila et qui attendent une augmentation de leur pension, une revalorisation du salaire national minimum garanti (SNMG) ou de la retraite pour mieux boucler les fins de mois ». « Une situation désolante, même si nous continuons à soutenir Abdelaziz Bouteflika qui, comme souhaité par Djamila qui s'est adressée également à lui, peut intervenir », déclare-t-il en conclusion. « Pour moi, Djamila Bouhired est le symbole des moudjahidate algériennes et auxquelles le pays doit énormément », affirme de son côté le représentant du FLN à Oran, un ancien de l'ALN et de l'ANP (retraité) qui évoque le fait que, de son temps, le président égyptien Gamel Abdennasser a réservé à cette dame un accueil digne des grands chefs d'Etat. Lui-même, venant juste d'apprendre la nouvelle de sa santé critique, il pense que « le président de la République n'était pas au courant de la situation et que maintenant que son cas est rendu public, il va sûrement tout faire pour lui permettre de se faire soigner convenablement ».