Pour rappel, les étudiants algériens ont décidé, suite à l'appel à la grève de l'Ugema (Union générale des étudiants musulmans algériens), le 19 mai 1956, de quitter les bancs de l'université coloniale française pour rejoindre les rangs du FLN et de la glorieuse ALN (Armée de libération nationale) pour participer à la lutte de Libération nationale contre le colonialisme français. Après l'indépendance, l'université algérienne a connu un mouvement étudiant autonome, démocratique et revendicatif, qui a lutté et lutte toujours pour une Algérie démocratique et sociale. Retour sur les luttes syndicales et politiques de l'UNEA historique (1963-1971) L'Union nationale des étudiants algériens (UNEA historique) est née après le 4e Congrès de l'Ugema le 23 août 1963. Le syndicat UNEA a commencé à activer dès la rentrée universitaire de septembre 1963. Les militantes et militants du syndicat UNEA historique vont affronter, de 1965 à 1971, avec courage et détermination, les dragons noirs de la pensée unique et les geôles humides de la police politique, qui sévissaient dans notre pays avant le 5 Octobre 1988. Le syndicat UNEA articulera les revendications sociopédagogiques des étudiants et les revendications sociétales et politiques de la société algérienne des années 1960, à savoir la défense farouche de l'autonomie syndicale et des libertés syndicales, face aux tentatives de caporalisation de l'ex-parti unique, le fonctionnement démocratique du syndicat, le soutien au projet politique et économique souverain du régime du Président Houari Boumediene (1968-1978), et le soutien aux peuples du monde en lutte contre la domination coloniale et impérialiste. Cette stratégie, qui permet d'articuler l'universel et le métier d'étudiant, le local et le mondial, les revendications corporatistes, sociétales et politiques, l'image sociale et le métier, ont fait du syndicat UNEA un sujet historique dans le champ syndical algérien. Seul le syndicat CNES (Conseil national des enseignants du supérieur) démocratique et revendicatif (1996-2008) a pu égaler la place qu'occupe l'UNEA historique dans l'histoire du mouvement syndical démocratique et revendicatif en Algérie. Il faut souligner aussi que le Mouvement étudiant autonome, qui va succéder dans les années 1970 et jusqu'à nos jours (après la dissolution de l'UNEA historique par le régime de Houari Boumediène le 18 janvier 1971 et une féroce répression) n'aurait jamais pu voir le jour sans la seule et unique politique nationale de l'enseignement supérieur qu'a connue l'Algérie et qui est la RES (Réforme de l'enseignement supérieur). Elle a été promulguée en 1971 et était le fruit de la détermination, des luttes et des sacrifices des militantes et militants de l'UNEA historique. La RES a permis le démantèlement de l'université coloniale, la démocratisation de l'enseignement supérieur et l'égalité des chances entre les étudiants algériens. La RES a permis de construire l'université nationale de l'Algérie du XXIe siècle, qui compte aujourd'hui 1 277 000 étudiants encadrés par 47 000 enseignants et un réseau universitaire constitué de 97 établissements répartis dans 48 wilayas et se répartissant selon le mode suivant : 47 universités, 10 centres universitaires, 4 annexes universitaires, 19 Ecoles nationales supérieures, 5 Ecoles normales supérieures, 10 Ecoles préparatoires et 2 classes préparatoires intégrées, sans parler des établissements hors MESRS. Il faut rappeler un fait important : les luttes du mouvement syndical étudiant seront l'un des éléments fondateurs du syndicalisme autonome algérien qui émergera après la promulgation de la Constitution de 1989 et des lois sociales 90-14 et 90-02. Car certains des cadres syndicaux des syndicats autonomes représentatifs étaient militants ou dirigeants dans le Mouvement syndical étudiant autonome des années 1970, 1980 et 1990. Le Mouvement étudiant autonome des années 1970 : résistance sociale et accumulation primitive de la colère Après la dissolution de l'UNEA en janvier 1971, une grande partie de sa direction et ses militants vont rejoindre les Comités de volontariat de la révolution agraire (CVRA), au niveau de l'université et continuer à soutenir le projet politique et économique souverain du régime du président Houari Boumediène. Cette position politique était juste, mais elle ne prenait pas en charge des questions politiques fondamentales et stratégiques, comme l'autonomie syndicale, les libertés syndicales et les libertés démocratiques dans la société algérienne des années 1970. Il faut toujours rappeler qu'au cœur de la question démocratique de la formation sociale et historique de la société algérienne, figure la question de la promotion, de l'officialisation de la langue tamazight et de la culture berbère séculaire de notre pays, que certains militants du PPA avaient déjà posée en 1949. La suppression du cours de berbère que donnait l'écrivain Mouloud Mammeri (depuis 1962) à la faculté des lettres d'Alger à la rentrée de 1973 n'a pas soulevé de protestations de l'ancien mouvement étudiant lié à l'UNEA historique qui s'était structuré à l'intérieur des CVRA. Désormais, l'autonomie syndicale estudiantine, la lutte pour les libertés démocratiques et pour la promotion du tamazight seront prises en charge au niveau des comités autonomes des étudiants : le Comité autonome de la cité universitaire Taleb Abderrahmane (Alger) (CUTA), le Comité autonome de la faculté des sciences économiques d'Alger (CSE), le Comité autonome des étudiants de l'USTHB, le Comité autonome des étudiants du centre universitaire de Tizi Ouzou et les Comités autonomes des Instituts supérieurs de Boumerdès durant le Printemps berbère de 1980. La grève historique des étudiants de la filière psychologie de l'université d'Alger, en 1977, est venue démontrer sur le terrain que les luttes syndicales et politiques estudiantines, l'héritage militant de l'UNEA historique, étaient pris en charge par les Comités autonomes des étudiants. Le mouvement étudiant autonome et le Printemps berbère de 1980 C'est l'interdiction par les autorités de la tenue de la conférence que devait donner Mouloud Mammeri sur les «Poèmes kabyles anciens» le 10 mars 1980, à l'université de Tizi Ouzou, sur invitation du Comité étudiant autonome de la cité universitaire Oued Aïssi, qui sera le facteur déclenchant du Printemps berbère de 1980. Les Comités autonomes des étudiants de l'université de Tizi Ouzou, des universités d'Alger et l'USTHB et des Instituts supérieurs de Boumerdès seront la cheville ouvrière de ce mouvement politique populaire, social et culturel qui sonnera la fin de la légitimité historique et mettra la question démocratique au cœur la société algérienne. Le Printemps berbère de 1980, c'est le retour des masses populaires sur la scène politique algérienne, selon la formule du journaliste et militant Hocine Bellaloufi. C'est un moment politique fondateur de l'histoire de l'Algérie moderne. Le Printemps berbère de 1980 annonçait déjà la révolution démocratique et sociale de la jeunesse algérienne du 5 Octobre 1988. Les années 1980 verront aussi une tentative intéressante de créer un Syndicat national des étudiants autonomes et démocratiques (Snead) par le militant syndical Redouane Osmane et des militants étudiants des Comités autonomes de plusieurs universités. La grève nationale de 1987, encadrée par le syndicat Snaed autour des revendications sociopédagogiques, sera un des moments forts de la mobilisation du Mouvement étudiant autonome. Le Mouvement étudiant autonome et la société algérienne du XXIe siècle Le sacrifice des 126 jeunes martyrs lors du printemps noir de 2001 en Kabylie a permis au tamazight de devenir langue nationale et a fait avancer les libertés démocratiques en Algérie. Le Mouvement étudiant autonome, l'association RAJ et le mouvement syndical autonome, représenté, entre autres, par le SNJ (Syndicat national des journalistes), le CNES démocratique et revendicatif militeront au sein la Coordination nationale pour la défense des libertés démocratiques (CNDLD) durant le Printemps berbère de 2001 pour dénoncer la répression et soutenir les revendications de la jeunesse en Kabylie. La grève du Mouvement étudiant autonome algérien, regroupé au sein la Coordination nationale autonome des étudiants (CNAE), en février-mai 2011, pour une université publique et performante, pour la démocratisation de la gestion de l'université et pour les libertés démocratiques (liberté d'expression, de réunion et droit de manifestation…), traduit, à notre avis, pour la première fois depuis des années, une expression sociale et politique de la jeunesse algérienne pour un avenir meilleur dans une Algérie démocratique et sociale. Il est l'antidote à la fatalité de l'émeute comme mode d'expression politique, à l'exil des jeunes diplômés et les mythes de construire un futur meilleur à l'étranger. Il faut rappeler que le facteur déclenchant de ce vaste mouvement national de protestation des étudiants (le plus important depuis l'année 1987) a été la publication du décret 10-315 du 13 décembre 2010, fixant la grille indiciaire des traitements et le régime de rémunération des fonctionnaires. Le décret 10-315 du 13 décembre 2010 avait dévalorisé les diplômes d'ingénieur d'Etat et de magistère. Ces deux diplômes avaient permis de jeter les bases de l'édification de l'université et de l'économie nationale de notre pays dans les années 1970 et 1980. La mobilisation des étudiants a permis l'abrogation du décret 10-315 du 13 décembre 2010, le 23 février 2011 par le Conseil des ministres. Mardi 12 avril 2011, la Coordination nationale autonome des étudiants, qui regroupait une majorité des établissements universitaires du pays, avait réussi une imposante marche, à Alger, autour de ses revendications sociopédagogiques et démocratiques, démontrant ainsi sa représentativité et qu'une autre université algérienne est possible. Les luttes et les acquis du Mouvement étudiant autonome algérien de 1962 à 2014 doivent, aujourd'hui, rappeler à la société algérienne que seul un projet politique démocratique, culturel, économique et social consensuel, fruit de la convergence des luttes syndicales, sociales et politiques contre les politique néolibérales suivies par le pouvoir depuis 1994, permettra de renforcer la cohésion nationale, de défendre et pérenniser l'Etat/ Nation et de faire face à tous les périls extérieurs.