Aux origines du syndicat CNES (7) Le syndicat CNES a commencé à activer sur le terrain en 1989, un certain nombre de facteurs ont aidé à sa naissance : L'ouverture démocratique qui a suivi octobre 1998 a permis l'émergence du pluralisme syndical qui sera consacré par la Constitution de 1989 et les lois 90-02 et 90-14 ; l'incapacité du syndicat UGTA à prendre en charge les revendications spécifiques des enseignants du supérieur ; l'aggravation des conditions socioprofessionnelles, particulièrement sur les questions du salaire, du statut et du logement. Mais, c'est lors de la grève de novembre 1991, et après la répression policière de la marche pacifique de l'université d'Alger vers le Palais du gouvernement, le 26 novembre 1991, que le syndicat CNES émergea dans le champ syndical algérien. Cette grève permit une première augmentation des salaires et le syndicat eut son enregistrement le 7 janvier 1992 dans le cadre de la loi 90-14. Les membres fondateurs du syndicat CNES venaient du syndicat UGTA (Fédération de l'enseignement supérieur), de l'UNEA historique, des comités étudiants autonomes des années 1970-1980, des comités étudiants des filières arabophones des années 1970/1980, du MCB historique et de 1'organisation de masse de la jeunesse de l'ex-parti unique, UNJA. Dès la naissance du syndicat CNES, deux lignes syndicales allaient s'affronter à l'intérieur : une ligne syndicale favorable à un syndicalisme démocratique et revendicatif et une ligne syndicale bureaucratique, proche du pouvoir, favorable au « syndicalisme maison » et dont les partisans voulaient utiliser le syndicat comme un « marchepied » pour réaliser leurs ambitions politiques. Les étapes de la construction d'un syndicat autonome, démocratique et revendicatif et sa place dans le mouvement syndical autonome algérien Le syndicat CNES va se construire, se constituer comme un contre-pouvoir face à la bureaucratie universitaire et ministérielle, se forger une identité sur le terrain des luttes, avec des grèves longues et dures autour de revendications corporatistes et sociétales, des marches nationales réprimées par la police et face à l'adversité féroce du pouvoir qui refuse de reconnaître le pluralisme syndical, consacré par la Constitution de 1989. Trois grandes périodes caractérisent l'histoire du syndicat CNES : La période de 1992 à 1996 durant laquelle le syndicat est dominé par le courant syndical partisan du syndicalisme « maison » et du « militantisme » dans les couloirs du ministère de l'Enseignement supérieur, et du pouvoir en général. Cette domination va entraîner le syndicat vers de graves dérives et culminera par la désignation par le pouvoir de l'ex-secrétaire général du syndicat CNES comme membre du Conseil national de transition (CNT) en mars 1994 et cela en violation des statuts du syndicat. Les partisans de la ligne syndicale démocratique et revendicative ont tenté de maintenir une activité syndicale conforme aux statuts, mais le syndicat CNES perdra beaucoup de sa crédibilité auprès de la base enseignante. La période 1996-1997 : les enseignants vont se réapproprier leur syndicat au cours de la grève de trois mois (15 octobre 1996-15 janvier 1997) qui verra l'exclusion de l'ex-SG du syndicat CNES par le conseil national, après qu'il fit un appel à la reprise du travail, le 16 novembre 1996, sur ordre du pouvoir. La tenue du premier congrès du syndicat les 27, 28 et 29 juillet 1997 à l'Inped de Boumerdès va consacrer définitivement la défaite politique des partisans du syndicalisme « maison ». Le syndicat va se doter d'un statut et d'un programme d'action conforme à la ligne syndicale démocratique et revendicative. La période 1997-2004 verra la mise en place progressive d'une stratégie syndicale qui allie des capacités à se positionner sur des enjeux à la fois corporatistes et sociétaux. En effet, pendant la grève de 135 jours (17 octobre 1998-28 février1999), et durant sa dernière grève (11 mai-13 juillet 2002 et 7 septembre-13 septembre 2002) en plus de son combat pour ses revendications corporatistes, le syndicat va défendre le droit de grève, les libertés syndicales (voir plus loin), il s'est réapproprié (durant la grève de 1998-1999) le droit de manifester en portant la contestation dans la rue, par des marches nationales et régionales, réprimées par la police. Il a apporté son soutien aux familles des disparus, à l'universitaire Rabah Bensaâd injustement condamné par la justice et à la lutte des journalistes pour la liberté de la presse et la libération des journalistes emprisonnés depuis le mois de juin 2004 : Hafnaoui Ghoul et Mohamed Benchicou. Durant le printemps noir de Kabylie de 2001 et l'année 2002, le syndicat a joué un rôle important : dans la défense des libertés démocratiques, contre la répression du mouvement citoyen dans toutes les wilayas du pays, pour la libération des détenus du mouvement citoyen dans toutes les wilayas du pays. Sur le plan international, il créera avec d'autres acteurs de la société civile un comité de solidarité avec le peuple irakien lors de l'invasion par les armées américaine et anglaise de l'Irak en avril 2003. Il va montrer une solidarité syndicale sans faille avec les deux syndicats majoritaires de l'enseignement secondaire : le CLA et le Cnapest lors de leur grève de trois mois en 2003-2004 et avec le syndicat Snommar lors de sa grève au mois de juin 2004. Il participera le 6 octobre 2003 avec 7 autres syndicats autonomes à la création du Comité national des libertés syndicales (CNLS) pour la défense des libertés syndicales. La lutte du syndicat CNES pour la défense du secteur public universitaire et celle du secteur public en général lui a permis de rejoindre avec d'autres syndicats de la Fonction publique, durant la grève de trois jours d'avril 2002, la lutte pour une mondialisation sociale et démocratique. Enfin, le syndicat CNES par le biais de sa structure CNES-images, créée durant la grève de 135 jours en 1998-1999, va construire son image sociale à travers des documentaires, qui retracent les luttes des enseignantes et des enseignants pour la défense de l'université et de leur métier. Cette stratégie, qui permet d'articuler l'universel et le métier, le local et le mondial, les revendications corporatistes et sociétales, l'image sociale et le métier, fait du syndicat CNES avec les autres syndicats autonomes représentatifs un sujet historique dans le champ syndical algérien. IV) Les enjeux stratégiques du Mouvement syndical autonome Il est parfaitement clair que les réformes néolibérales initiées par le pouvoir dans le secteur de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur, de la santé et de la Fonction publique en général ont rencontré une grande résistance grâce aux luttes des syndicats autonomes qui activent dans ces divers secteurs. Les récentes grèves dans ces secteurs ont montré l'hégémonie du mouvement syndical autonome et on peut avancer que la remise en cause par le pouvoir du droit de grève et des libertés syndicales est une tentative pour casser cette hégémonie afin de faire passer par la force les réformes néolibérales. Trois questions centrales se posent aujourd'hui au mouvement syndical autonome : Quelle va être sa stratégie sur le terrain des luttes pour défendre les acquis syndicaux ? Est-ce qu'il pourra aller vers la construction d'une deuxième centrale syndicale ? Quelles seront les étapes de cette construction ? Les premiers éléments d'analyse montrent tout d'abord qu'il y a une ébauche d'union syndicale entre 10 syndicats autonomes dans le cadre du CNLS pour défendre les libertés syndicales. Il faut rappeler que le CNLS a été créé en pleine grève du CLA et du Cnapest pour défendre les syndicalistes de ces deux syndicats en butte au harcèlement policier et judiciaire et aussi pour protester contre le refus par le ministère du Travail de délivrer le récépissé d'enregistrement pour le syndical Cnapest et celui de la wilaya d'Alger pour le CLA. Il faudra souligner avec force que le mouvement syndical autonome doit défendre (y compris avec les travailleurs qui se battent à l'intérieur de l'UGTA) les acquis syndicaux quotidiennement dans les divers secteurs d'activités où il existe. Seul le maintien d'un rapport de force visible et permanent sur le terrain obligera le pouvoir à respecter les lois sociales et le droit de grève. Par ailleurs, l'expérience montre que le chemin pour aller vers une deuxième centrale syndicale va être très long. La première étape pour y aller serait un regroupement des syndicats par secteur comme l'ont préconisé certains syndicats membres du CNLS, c'est-à-dire création d'une fédération dans le secteur de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur qui regroupera les syndicats CLA, Cnapest et CNES. La même démarche sera adoptée au niveau du secteur de la santé par les syndicats qui y activent. Cette démarche graduelle et réaliste (qui tient compte des rapports de force) est un gage de réussite pour construire une nouvelle alternative syndicale dans notre pays. Conclusion Le projet néolibéral du pouvoir impose au Mouvement syndical autonome l'urgence d'une large union pour défendre le secteur public, les acquis sociaux, le droit de grève et les libertés syndicales menacés. Seul un mouvement syndical autonome fort et structuré sera en mesure de mettre en échec le projet de génocide social (8) programmé par les technocrates néolibéraux du pouvoir. Notes 7) Voir l'article « Le syndicat CNES, la crise de l'université algérienne et le mouvement syndical algérien » paru dans le quotidien La Tribune du 31 août 2002. L'article est disponible sur le site web du syndicat CNES : http// : cnes. site. voila. fr 8) « Génocide social » est le terme utilisé par le cinéaste argentin Fernando Solanas pour décrire dans son film sorti en Europe en 2004 (consacré à la faillite économique spectaculaire de l'Argentine) les ravages politiques, économiques, sociaux et psychologiques provoqués par la politique néolibérale de la Banque mondiale et du FMI dans ce pays. Les technocrates néolibéraux du pouvoir nous citent souvent l'Argentine comme modèle !