Voici que reviennent les sirènes chantant avec insistance les vertus de la «réconciliation». Référendum et amnistie n'ont apparemment pas réussi à convaincre du bien-fondé de la démarche : il faut maintenant la graver dans le marbre de la Constitution pour s'assurer que ces traîtres de proches et de descendants des victimes du terrorisme ne s'avisent un jour de réclamer justice. Il faut créer le délit de «crime constitutionnel» pour les en dissuader pour l'éternité… Qu'avons-nous fait pour mériter tant de hargne ? Quels crimes ont commis les victimes ? Qu'ont fait de mal les hommes de science, journalistes, hommes et femmes de religion, enseignants et enseignantes, artistes, militaires, policiers, tous partis sous les balles ou le tranchant des lames ? Qu'ont fait de mal les enfants scouts de Mostaganem ? Les enfants jouant sous la falaise de Saint-Raphaël à El Biar ? Les populations de Raïs, de Bentalha de Sidi Hamed massacrés, hommes, femmes, enfants au cours de nuits d'horreur ? Ces Algériens ont-ils tous trahi la patrie ? Ont-ils abandonné leurs concitoyens aux flammes de l'enfer ? Ont-ils détruit les biens nationaux pour lesquels une génération précédente s'était sacrifiée en récupérant la terre des ancêtres ? Il est effectivement plus facile de pardonner quand on n'a pas eu à souffrir dans sa chair, quand on n'a pas eu à enterrer les siens, quand on était «aux abris» à l'étranger attendant des moments plus cléments pour revenir se pavaner en toute sécurité et profiter à fond, exactement comme ceux qui ont guetté l'indépendance du haut de miradors ou de bordjs planqués dans des pays accueillants voisins ou amis… En tout état de cause, pour se réconcilier, il faut d'abord avoir été deux parties adverses. Quels pas ont fait les adversaires de la démocratie vers ceux qui portent la mémoire de leurs victimes ? Quels regrets ont-ils exprimé ? Ne sont-ils pas encore persuadés d'avoir bien agi en assassinant des innocents et que la «guerre étant ruse» d'avoir tout à gagner à se voir consacrés «héros» par la Constitution ? Constitution dont, au demeurant, ils n'ont jamais reconnu la sacralité. Rappelez-vous le slogan hurlé durant la décennie noire : «La mithaq, la destour…» Si la réconciliation est consacrée constante nationale, alors pourquoi et comment s'opposer à la réconciliation avec les harkis ? Ont-ils été vraiment plus traîtres que les terroristes qui avaient programmé la mort de l'Algérie ? Leurs crimes sont-ils réellement plus atroces que ceux commis par les «nationaux» envers leurs frères ? Les peuples occidentaux ennemis pendant la Deuxième Guerre mondiale sont maintenant amis et célèbrent ensemble le débarquement anglo-saxon du 6 juin 1944 sur les côtes de Normandie. Mais les crimes nazis n'ont jamais été ni amnistiés ni oubliés. Mais Guy Môquet est un nom qui résonne dans la mémoire de tous. Mais les criminels nazis sont pourchassés jusqu'à nos jours. Mais Oradour-sur-Glane, le village martyr, est encore évoqué 70 ans après, alors que ma génération en a entendu parler comme d'un crime impardonnable déjà à l'école primaire du temps de la colonisation… Malgré les apparences, les pays occidentaux ne sont pas plus civilisés que nous mais ils ont compris – et la France le sait bien pour ce qui concerne son histoire algérienne – ils ont compris que l'ont peut tuer les hommes, mais que l'on ne peut pas tuer la mémoire.