Les luttes contre l'apartheid et le système colonial français furent les moments opportuns pour les deux jeunes filles. La question du pouvoir/non pouvoir des femmes est aussi ancienne que la relation hommes/femmes et les résistances peuvent être féroces dès que le terme « libération » est évoqué. L'engagement de deux figures emblématiques d'Afrique du Sud et d'Algérie, Winnie Mandela et Djamila Bouhired, mérite d'être rappelé pour expliquer les ralentissements quant à la libération des femmes initiée durant les luttes anticoloniales. Même si Winnie Mandela et Djamila Bouhired sont des symboles incontournables dans l'histoire de l'Afrique du Sud et celle de l'Algérie, force est de constater qu'elles sont certes toujours présentes dans le champ social et politique, mais souvent vilipendées, voire remises en cause dans leurs engagements. Durant la lutte anticoloniale, la mobilisation de toutes les forces sociales était nécessaire. Faire appel aux femmes pour résister aux injustices n'a pas été sans questionnement de la part des hommes, comme le rappelle Frantz Fanon dans Sociologie d'une révolution. De toute évidence, les hommes n'avaient pas d'autres choix que d'accepter la participation des femmes à la résistance, ce qui a engendré une entrée inattendue des femmes dans le champ du combat des « damnés de la terre ». Les femmes se sont investies sans calcul durant la « nuit coloniale » pour défendre leurs libertés en tant que colonisées, en étant conscientes qu'elles étaient doublement victimes : du système colonial et des hommes de leur propre camp. Les actions de Winnie Mandela et Djamila Bouhired, hors de la sphère familiale, ont remis en question l'organisation patriarcale ancestrale existante dans les deux sociétés. En effet, les luttes contre l'apartheid et le système colonial français furent des moments opportuns pour les deux jeunes filles qui vivaient les inégalités créées par le colonialisme et, dans le même temps, elles étaient conscientes des rapports inégaux existants entre hommes et femmes. Winnie Mandela voyait sa mère prier Dieu pour avoir un garçon, ce qui était très vexant pour elle, d'où sa fierté d'être fille, ce qui rappelle la volonté de Djamila Bouhired à sortir de l'enfermement de la maison familiale à La Casbah et étudier comme un garçon afin de s'extraire au sort dévolu à ses sœurs : le mariage dès le plus jeune âge. En Afrique du Sud, les Noirs n'avaient pas droit à la « parole » : parler de soi était une entrave aux lois de l'apartheid. En inscrivant son prénom dans l'histoire, en publiant son autobiographie durant l'apartheid, Winnie Mandela a prouvé une volonté à exister et ne pas être uniquement « l'épouse de Nelson Mandela ». Djamila Bouhired a mis en avant son individualité et son prénom quand elle s'est trouvée sur le banc des accusés, lors de son procès par les tribunaux français, en 1957. Sans la protection du père ou du frère, Djamila Bouhired s'est exprimée en utilisant le « moi » pour défendre sa vie. Les deux femmes sont ainsi devenues des icônes de bravoure pour leurs consœurs, voire de leurs compatriotes mâles. Leur courage et leur entêtement, à ne plus être des femme-objets dont le destin est inscrit d'avance par la loi du clan, deviennent des qualités à suivre. Destins similaires, elles ont été emprisonnées, mais elles ont résisté à l'horreur de la torture et à l'avilissement. Winnie Mandela et Djamila Bouhired avaient droit au même traitement que les hommes et là, elles devenaient par miracle leur égale. Au lendemain des libérations, qu'en est-il de l'évolution des femmes combattantes ? Djamila Bouhired a travaillé quelque temps avec Jacques Vergès, devenu son époux. Winnie Mandela libérée dans les années 1990, devenait « l'épouse » du premier Président noir d'Afrique du Sud en 1994. Après quelques années passées à Révolution africaine, Djamila Bouhired se retire de la vie publique. Son cas révèle une situation particulière, car comme des milliers de femmes qui ont fait la révolution, elle fut encouragée à « rentrer à la maison » et se contenter de son rôle d'épouse et de mère. Ainsi, l'indépendance obtenue, l'idéologie du « retour aux sources » s'est mise en place et il a été dit aux femmes que leur rôle « historique » était terminé. Le mépris vis-à-vis de la femme, malgré les sacrifices consentis pendant la guerre, démontre bien que la question des femmes est centrale, « au cœur des obsessions, des cauchemars, des peurs des hommes », comme l'écrit Fadéla M'Rabet. Winnie Mandela a été vilipendée par la presse car femme qui voulait faire de la politique. Aujourd'hui, grand-mères, Winnie Mandela et Djamila Bouhired militent toujours pour l'amélioration du statut social et politique de la femme sud-africaine et algérienne. Ce qui rassemble les Algériennes et les Sud-africaines, c'est leur pugnacité et leur lutte pour accéder à l'éducation, à la culture, à l'emploi et aux hautes fonctions du pouvoir, malgré les difficultés et les embûches dues à une idéologie d'un autre âge et à un système patriarcal corrompu, qui a un grand mal à accepter le monde en mouvement. Aujourd'hui, la lutte des Algériennes se situe à deux niveaux, législatif et social. Celui des Sud-africaines au niveau des mentalités et des attitudes méprisantes des hommes. Winnie Mandela et Djamila Bouhired sont des icônes sur le plan international, mais elles restent ignorées dans leurs propre pays, en terme de reconnaissance. A l'orée du troisième millénaire « si le droit de vote et d'être candidate sont reconnus dans la quasi-totalité des pays, le manque d'instruction, la pauvreté et les violences sont un obstacle à la participation citoyenne ». Dans Le livre noir de la condition féminine, il est affirmé que « la mixité en politique reste à conquérir », Winnie Mandela et Djamila Bouhired ne le savent que trop.