L'anthropologue, écrivaine, chercheuse et spécialiste de la culture berbère, Tassadit Yacine, a animé, mardi dernier, un café littéraire au Théâtre régional de Béjaïa, autour du journal que Jean Amrouche a tenu de 1928 à 1961. Un journal resté longtemps inédit avant de paraître récemment aux éditions Non Lieu (Paris) et d'être réédité aux éditions Alpha, en Algérie. Jean El Mouhoub Amrouche a consigné ses réflexions pendant trente quatre ans où il fut un poète, critique littéraire, animateur de revue et surtout écrivain engagé en faveur de la libération de l'Algérie. Un journal, rédigé sous forme de mémoires où Amrouche notait tout, des lettres ou brouillons de missives et d'articles, jusqu'à ses rencontres avec les grandes figures du microcosme politico-littéraire de l'époque : de Gaulle, Jules Roy, André Gide, François Mauriac, Camus… Un matériau brut que Tassadit Yacine a dépoussiéré, décrypté,exploré pour exhumer une grande œuvre de celui qui « a consacré toute sa vie pour faire entendre la voix plurielle de l'Algérie. » Tassadit Yacine, maître de conférences à l'école des hautes études en sciences sociales à Paris, a mené un travail de longue haleine : « Cela fait 15 ans que j'ai ce journal. J'ai mené un long travail de décryptage de ce grand militant de la cause nationale », explique-t-elle. Un journal précis, utile à la compréhension de son combat. Amrouche se montre tel qu'il est, hostile au régime colonial. On le sent très politiquement engagé pour la cause algérienne. Une cause qui a germé en lui depuis qu'il s'était installé en Tunisie, sa première terre d'accueil. Professeur de lettres au lycée, il publie ses premiers poèmes en 1934 et 1937. Il rédige ensuite un essai, L'éternel Jugurta, avant d'adapter en français les Chants berbères de Kabylie, une poésie savamment nourrie aux dictons populaires et qui a atteint l'universel. De 1945 à 1947, il est directeur de la revue L'Arche, à Paris. Il réalise de très nombreuses émissions littéraires, sur la Radio Tunis-R. T. T. (1938-1939), Radio France-Alger (1943-1944), et Radio France-Paris (1944-1958). Il réalise des entretiens avec une pléiade d'intellectuels à l'image d'André Gide (1949), Paul Claudel (1951) et François Mauriac (1952-1953). A une époque, Jean Amrouche fut un assimilationniste convaincu : il militait en faveur d'une communion et la tolérance entre les communautés musulmane, chrétienne et juive d'Algérie. Mais les massacres de mai 1945 l'ont poussé à se radicaliser. Ses prises de position pour une Algérie libre lui ont valu d'être renvoyé de Radio France en 1958, par le Premier ministre de l'époque. Il servira de médiateur entre le FLN et le général de Gaulle dont il est fervent admirateur. Jean El Mouhoub n'a pas cessé d'essayer d'amener le général à prendre position en faveur de l'Algérie. De 1958 à 1961, il plaide sur les ondes des Radios helvétiques de Lausanne et de Genève, la cause algérienne. Il meurt quelques jours après les accords d'Evian en 1962. Beaucoup parmi les acteurs majeurs de la résistance nationale à l'image de Redha Malek et Abdelhamid Mehri lui reconnaissent publiquement le militantisme. Mais ce dernier restera longtemps volontairement occulté, délibérément oublié et injustement exclu et évincé de la mémoire de la résistance intellectuelle nationale contre l'occupant français. El Mouhoub n'aura même pas le droit d'être enterré chez lui. Un déni dont le seul tort est d'avoir été de confession chrétienne. Quelle injustice !