1 – La contamination du cheptel ovin est possible, voire déjà entamée Il y a un peu plus d'un mois, Karim Boughanem, le directeur des services vétérinaires au ministère de l'Agriculture affirmait à El Watan Week-end que la contamination de la fièvre aphteuse des bovins aux ovins était «impossible». Mais aujourd'hui, les vétérinaires que nous avons contactés déclarent le contraire. En effet, selon les spécialistes, «le risque zéro n'existe pas». Akli Moussouni, expert en agronomie, en est aussi certain : «Scientifiquement, cette fièvre est transmissible aux ovins. Il ne faut donc pas croire que le risque d'infection de ces derniers n'est pas probable.». Cet avis est largement partagé par Djelloul Chenouf, vétérinaire à Bouira : «Le fait que le cheptel ovin ne soit pas infecté jusqu'ici ne veut pas dire que le virus n'est pas transmissible aux moutons, il peut toucher les ovins à n'importe quel moment.» Un expert agricole estime même que tous les ingrédients sont réunis pour que la transmission du virus se déclare : «D'abord, la fréquentation des mêmes pâturages par les cheptels ovins et bovins. Or on sait qu'un contact direct ou indirect – par les excréments ou la respiration, par exemple – suffit à la transmission de la maladie. Par ailleurs, on parle des moutons, mais la fièvre aphteuse, transmissible à tous les bi-ongulés, est aussi susceptible d'affecter les sangliers.» Le problème, d'après le docteur Djamil Abdennebi, c'est qu'un mouton peut attraper le virus sans en développer les symptômes. «Ce n'est même que dans de rares cas que ces derniers développent des symptômes (aphtes, fièvre…)». A quelques jours de l'Aïd El Adha, les autorités se veulent rassurantes, mais «il existe forcément ce qu'on appelle des porteurs sains, c'est-à-dire des animaux porteurs du virus mais qui ne sont pas malades (ils ne montrent pas de signes cliniques, ndlr), qui peuvent très bien être une source de contamination», nuance le Dr Boussafel, vétérinaire à Sétif. Par ailleurs, la décision prise par le ministère de rouvrir les marchés aux ovins exclusivement ne contribue pas à rassurer les professionnels du secteur, bien au contraire. «Si la circulation des moutons, autorisée en vue de l'Aïd, n'est pas accompagnée de surveillance accrue, elle engendrera une nouvelle vague de contamination aux ovins», craint Akli Moussouni. Le Dr Boussafel le rejoint : «S'ils s'amusent à rouvrir les marchés aux bestiaux, le dispositif de sécurité doit être maintenu afin d'éviter tout risque de contamination nouvelle.» Les facteurs de transmission n'étant pas tous contrôlables, le Dr Ifrik de Tizi Ouzou avertit : «Tous les éléments qui étaient en contact direct avec la fièvre aphteuse peuvent contaminer les cheptels sains. Par exemple, le camion qui transporte les animaux malades, les vêtements que porte l'éleveur alors qu'il est en compagnie de ses bovins infectés, ses bottes, etc., sont des vecteurs importants.» 2 – Le ministère ne contrôle pas la situation aussi bien qu'il le dit «La situation est stabilisée et maîtrisée», a déclaré le ministre de l'Agriculture et du Développement rural, Abdelouahab Nouri le 6 septembre dernier à Souk Ahras. Cependant, «dire que la situation est sous contrôle est un vœu pieux» conteste un expert agricole. Ces nouvelles déclarations, faites pour «rassurer les consommateurs», ont eu, sur de nombreux spécialistes, l'effet inverse. L'expert Akli Moussouni indique : «La répartition du cheptel dans l'espace mais aussi la mentalité des éleveurs, qui rechignent à déclarer les bêtes malades, font qu'il n'y a pas une totale adhésion à cette campagne de vaccination et me laisse donc douter de la stabilité de la situation.» D'autres vétérinaires, les docteurs Ifrik et Boussafel, partagent ce point de vue : «Etant donné que cette fièvre atteint des animaux sauvages, la situation reste très difficile à maîtriser, et d'autres foyers pourraient bien voir le jour avec la réouverture des marchés aux bestiaux, compte tenu du fait que les vaccinations n'ont pas touché toutes les exploitations.» L'expert agricole vient étayer cet avis : «La maladie couve et ce n'est pas en quelques semaines que l'on parvient à s'en débarrasser.» Selon lui, «si jamais le cheptel ovin est contaminé, il serait beaucoup plus difficile pour les services vétérinaires de le vacciner», car l'Algérie compte 24 millions d'ovins contre 1,9 million de bovins. Le cheptel est aussi plus épars, son recensement moins précis et le pays n'aurait pas les doses de vaccin suffisantes. «Le même discours convenu chez les fonctionnaires, les éleveurs, les bouchers… montre qu'un même mot d'ordre a été donné en vue de rassurer le consommateur. Car le principal risque serait d'effrayer le consommateur dont le comportement affecterait le marché.» 3 – Le prix de la viande a baissé mais le consommateur n'a rien vu Alors que la baisse du prix du bœuf est le premier impact enregistré dans un pays où la fièvre aphteuse se répand, en Algérie, les prix sont restés stables : 1300 à 1500 DA le kilo pour le bœuf et 1400 à 1500 DA le kilo pour l'agneau. Akli Moussouni pense qu'il existe une explication «logique» à cela : «En Algérie, la baisse des prix n'obéit pas à des normes, car un ensemble de mécanismes informels font que les prix ne baissent pas.» En réalité, l'explication se trouve plutôt chez les commerçants. Car, comme le souligne le docteur Boussafel, vétérinaire à Sétif, «dans les abattoirs, le prix de la viande a baissé jusqu'à atteindre les 300/350 DA ! Ce sont les bouchers qui ont maintenu le seuil habituel alors qu'ils achètent leur viande à prix bas.» Economiquement, la fièvre aphteuse a engendré d'importantes pertes, selon Akli Moussouni, à cause de «l'arrêt des activités des éleveurs, malgré la compensation que leur a promis l'Etat».