Chirurgien des hôpitaux de Paris, après des études en Algérie, Rédha Souilamas jouit d'une notoriété non démentie à l'échelle internationale. Il est le coordonnateur du programme des greffes pulmonaires pour la micoviscidose à l'Assistance publique. Expert auprès de l'Agence française des greffes d'organes, il est membre fondateur de l'Ecole francophone des prélèvements multiorganes dont la première promotion a été formée en juin 2009 à Paris. Souilamas est aussi investigateur principal du programme de reconditionnement ex-vivo des greffes pulmonaires. Ce natif de Cherchell, qui exerce à Paris, a bien voulu répondre à nos questions. Quels sont les derniers développements en matière de greffe du poumon ? La communauté internationale de transplantation a tendance actuellement à développer un nouveau concept en matière de greffe d'organes. Il est basé sur les principes suivants : Un nouveau mode de répartition des greffons basé sur 3 principes qui sont : équité, justice et efficacité. Cela permettra de donner des greffons en priorité à ceux qui en ont le plus besoin et qui peuvent décéder en liste d'attente, faute de greffes. La professionnalisation du prélèvement d'organes en créant une école de formation du personnel médical et chirurgical. Un reconditionnement (une réanimation) dans une machine (couveuse) des greffons (organes) pour améliorer leur qualité, donc les résultats et augmenter leur nombre pour doubler à terme le nombre de greffes et diminuer la mortalité sur liste d'attente. Enfin, une prise en charge spécifique et optimale du patient en attente de greffe. Lorsque son état s'aggrave, nous mettons en place une assistance mécanique. Par exemple, dans la greffe pulmonaire, c'est une assistance respiratoire qu'on installe par voie veineuse externe chez le patient, lorsque ses poumons sont complètement dégradés, n'assurant plus leur fonction et mettent en dangersa vie. Un colloque international se déroulera en janvier 2010 à Alger, et traitera des greffes. Bizarrement, votre nom n'y figure pas. Comment le nom d'un spécialiste comme vous peut-il être omis ? Il s'agit d'un colloque franco-maghrébin pour aider au développement d'un programme de greffes d'organes qui aura lieu pour la première fois en Algérie je crois. En effet, je n'ai pas été invité, mais je commence à en avoir l'habitude, toujours le fameux principe « Nul n'est prophète en son pays », pour lequel l'Algérie détient la médaille d'or. En avril dernier, j'ai été vice-président du Comité scientifique d'organisation du Congrès international de transplantation cardiaque et pulmonaire (International society for heart and lung transplantation) qui s'est déroulé à Paris devant 2500 participants. L'ironie a fait que j'étais le seul représentant français dans ce comité à majorité anglophone. Je crois que les vrais enjeux sont à ce niveau. Vous avez dit, dans un article récent, que je n'y allais pas avec le dos de la cuillère, alors je vais essayer d'honorer cette réputation : je pense que j'aurais décliné l'invitation parce que je considère que le problème en Algérie n'est pas la greffe d'organes qui ne touche qu'une infime partie des patients et qui est très coûteuse. Le vrai problème de santé publique concerne la médecine courante qui touche des millions de personnes, qui ont du mal à y accéder, comme par exemple, le cancer, les maladies cardiovasculaires, les problèmes dentaires, la malnutrition, les pathologies infectieuses et pédiatriques, etc. Il n'est décent de parler d'une thérapeutique coûteuse et élitiste qu'est la greffe d'organes, que lorsqu'on aura réglé les questions courantes de santé publique. Ce qui est loin d'être le cas de l'Algérie. Ne pensez-vous pas que le pouvoir algérien est frileux quand il s'agit de faire appel à nos compatriotes spécialistes établis à l'étranger ? Je ne sais pas si le pouvoir est frileux pour faire appel aux compatriotes, ce que je sais, c'est qu'il devrait, en tant que tel, organiser, imposer le développement et pas seulement le projet d'un partenariat avec les Algériens de l'étranger, qui travaillent dans des secteurs pointus et qui pour beaucoup ne demandent qu'à participer au développement de l'Algérie. L'immobilisme des équipes locales entrave la marche logique qui devrait conduire à un développement efficace de la médecine en Algérie. Les séquelles de l'histoire font, qu'ils préfèrent souvent faire appel aux descendants de l'ancien colonisateur qu'à des Algériens qui sont sensibles aux problèmes du pays et qui tendent la main pour apporter leur savoir-faire de manière durable en formant les jeunes. Je ne suis pas le seul à être indigné par les échos colportés par les acteurs de ce commerce juteux, qui se fait aux dépens de la médecine publique algérienne. Ne soyons pas naïfs, beaucoup d'entre eux ne vont pas scier la branche sur laquelle ils sont assis et n'ont pas, de ce fait, intérêt à ce que les infrastructures algériennes s'autonomisent grâce à une véritable formation de tous les acteurs, cela risquerait d'épuiser ce gisement si profitable. Si les relations ne sont pas maintenues et entretenues avec ma génération d'Algériens à l'étranger, les conséquences seront d'une portée irréversible, car la génération suivante saura tirer les leçons de cet échec en se détournant du pays de ses parents. Nous vivons une période charnière, si le lien est rompu avec la diaspora algérienne, ce sera définitif et cela accélérera la dépendance technologique et scientifique qui est déjà installée. Le système de santé algérien, peut-il, selon vous, sortir de l'ornière ? Pour développer un système de santé moderne, juste, équitable, et autonome, il faut plusieurs conditions : 1- Des moyens financiers (je pense que l'Algérie en dispose) pour construire et entretenir des hôpitaux et leur fournir les moyens humains et matériels dans tout le pays en fonction de la densité de la population. Un programme de santé publique établi par des professionnels : médecins, pharmaciens, élus, anthropologues, éthiciens, psychologues, représentants de la société civile. Ce programme doit tenir compte des priorités et des spécificités de la population afin de lui faciliter l'accès aux soins qui doivent être dignes et modernes. Des responsables compétents qui forment et dirigent des équipes compétentes et dévouées d'abord à la « santé publique ». Ces équipes doivent être évaluées et rendre des « comptes ». Cela passe par une réelle transmission du savoir, c'est à dire un programme de formation hospitalo-universitaire spécifique aux besoins de la population. Il n'y a pas de « sous-médecine » ni de « sous-spécialités ». Si la médecine algérienne s'autonomise, les transferts des patients à l'étranger diminueraient. Ces économies permettraient un apport financier supplémentaire aux hôpitaux et à la formation médicale continue, garante d'une médecine moderne. Les responsables devraient donner l'exemple en se soignant dans le pays, ce qui leur permettrait aussi de vivre les vrais problèmes et de leur apporter de vraies solutions. Aujourd'hui des gestes techniques simples, des traitements simples, qui sauvent beaucoup de vie, ne sont pas réalisés. Là, est le vrai défi de la santé publique, qu'il faut relever avec humilité et ingéniosité. On mesure le degré de civilisation d'un pays à la place qui est faite à la santé de ses citoyens. Et comme dit le dicton chinois : « Ne me donnes pas du poisson mais apprends-moi à pêcher ». Background : Chirurgien des hôpitaux de Paris. Coordonnateur du Programme des greffes pulmonaires pour la mucoviscidose à l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris Expert auprès de l'Agence française des greffes d'organes (A.B.M) Membre fondateur de L'Ecole francophone des prélèvements multi-organes (Efpmo), dont la première promotion a été formée en juin 2009 à Paris. Investigateur principal du Programme de reconditionnement ex-vivo des greffons pulmonaires.