Un grand vent de liberté a soufflé cette semaine sur le Palais des nations, où s'est tenue la Conférence sur le développement économique et social. Intitulé ronflant pour une ambition colossale : définir un nouveau modèle de croissance. En clair : relancer l'outil de production pour sortir de la dépendance aux hydrocarbures. En encore plus clair : LI-BE-RA-LI-SER ! Le terme n'est pas pleinement assumé. «Nous ne sommes pas des libéraux débridés, c'est de l'ordre du blasphème ça», a lâché Abdelmalek Sellal à la tribune. Nul ne sait s'il s'est ensuite lavé la bouche avec du savon. Assumée, en revanche, la volonté de tourner la page d'une économie asphyxiée par une trop grande implication de l'Etat. «Nous avons été socialistes. Nous avons été pseudo-capitalistes. Nous sommes désormais pragmatiques», a assuré le Premier ministre. «Oui, c'est un tournant libéral», décrypte en coulisses un conseiller du ministre de l'Industrie, Abdessalam Bouchouareb. Yoyo Le catalogue de promesses laisse rêveur. Révision du code de l'investissement et du code des marchés publics, allégement des procédures, évolution du cadre fiscal, réduction des délais et des coûts liés à l'investissement, ouverture à terme du capital des entreprises publiques… «Sur les start-ups, nous comptons envoyer des créateurs algériens dans la Silicon Valley», jure Abdelmalek Sellal. Et de préciser, à de nombreuses reprises : «Notre économie est ouverte. Il n'y aura pas de retour en arrière.» «Ce ne sera pas une énième rencontre dont les conclusions seraient sans prolongement concret», reprend en chœur son ministre de l'Industrie. Comprendre : cette fois, c'est du sérieux… pas comme au début des années 2000. A l'époque, Hamid Temmar vantait les mérites de l'investissement en Algérie. Architecte des grandes privatisations, le ministre qualifiait alors l'industrie algérienne de «quincaillerie» et les installations du complexe Sider de «ferraille». «Sous la contrainte du FMI, des fleurons nationaux ont été bradés», se souvient un dirigeant du public, citant les cas de Henkel et Asmidal. En 2006, le même Hamid Temmar prévient à la radio qu'«il n'y aura pas de recul sur la privatisation des entreprises publiques. La cadence va être accélérée». L'ouverture du capital du Crédit populaire d'Algérie (CPA) est à l'agenda. Deux ans plus tard, patatras ! La crise financière balaie les résolutions de l'Exécutif. «Et, heureusement, se réjouit Ali Sokhal, directeur marketing du groupe RedMed, ne pas être connecté à la finance mondiale a protégé le pays de la crise.» En 2011, quand éclatent les printemps arabes, la réforme libérale est renvoyée aux calendes grecques. «A partir de là, on est revenu à une économie dirigiste et distributrice qui permettait d'acheter la paix sociale», sourit un grand patron. Mohamed Chakib Skander, président du cabinet de conseil Bravehill, avance d'autres arguments : «A l'époque de Temmar, certains décideurs ont considéré que les opérateurs économiques n'ont pas joué le jeu. Beaucoup ont fait de la spéculation plutôt que d'investir sur le secteur productif.» D'où une rupture de confiance entre décideurs et opérateurs. «C'est cette confiance qu'il faut rétablir en tirant les leçons du premier train de privatisations», recommande Mohamed Chakib Skander. Contrainte C'est qu'il y a péril en la demeure. Shootée aux hydrocarbures, l'Algérie ne sera plus en mesure d'en exporter à l'horizon 2030. Dans le même temps, elle assiste à l'effondrement des cours du pétrole. En quatre mois, le prix du baril de Brent est passé de 115 à 83 dollars. Le gouvernement veut se montrer rassurant en affirmant qu'il a anticipé cette baisse et pris ses précautions. Les prévisionnistes britanniques cités par le journal The Economist sont nettement plus pessimistes. Ils estiment que l'Algérie a besoin d'un baril à 120 dollars pour soutenir son budget. Ancien directeur de la stratégie au ministère de l'Energie, Ali Kefaïfi tire la sonnette d'alarme : «La politique actuelle mène tout droit vers la cessation de paiement.» Message entendu cinq sur cinq par le Premier ministre qui a promis, mardi, une «accélération décisive de notre développement». «C'est un acte fondateur pour l'Algérie», s'est enthousiasmé Abdessalem Bouchouareb. Les opérateurs étrangers présents à la conférence ne partagent pas tous son emballement. «Ils ont compris qu'on n'attrape pas les mouches avec du vinaigre, mais Sellal a soufflé le chaud et le froid dans son discours», confie l'un des participants. «Je crains que ce ne soit davantage un repositionnement qu'un tournant libéral, minimise un ancien dirigeant du public. Un repositionnement sous la contrainte.» En effet, l'adhésion à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) impose un train de réformes. Comme la réduction des barrières douanières et le respect de la propriété intellectuelle. «Il y a aussi l'abandon de certaines subventions, complète Mohamed Chakib Skander. L'essence pas chère, ce sera fini. Ça vaut le coup si on a un avantage comparatif. Mais attention à ne pas devenir un marché d'import.» Le ministre de l'Industrie assure que ce risque a été pris en compte. Pas question de devenir «un pays de main-d'œuvre low-cost», ce sont les industries à forte valeur technologique qui intéressent l'Algérie. L'Etat veillera donc au grain. La révolution libérale, oui, mais à une vitesse limitée. Du keynésianisme, en somme. L'essayiste britannique estimait au début du siècle dernier que «l'économie est un cheval puissant, mais la politique doit être son cavalier.»