Le dossier du thon rouge algérien est loin d'avoir livré tous ses secrets. L'affaire en justice des 210 tonnes de ce poisson pêché illicitement dans les eaux territoriales nationales et dans laquelle sont impliqués des Turcs, en complicité avec des Algériens, ne constitue que la partie visible d'un immense iceberg. Le mal est profond. Beaucoup de zones d'ombre entourent la gestion de ce dossier. D'ambitieux thoniers professionnels nationaux parlent de « faillite ». Une faillite institutionnelle, aussi bien au plan national qu'international. Et cela pour plusieurs raisons. Depuis quelques années, la pêche au thon rouge a été soumise à une stricte réglementation dictée par la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l'Atlantique (ICCAT). Cela afin de préserver cette espèce qui commence à se raréfier, à en croire certaines associations de protection de l'environnement. Un système de quotas a été mis en place à cet effet. Et l'Algérie, comme tous les pays du pourtour méditerranéen, est appelée à respecter son quota annuel. Un quota qui a été considérablement réduit lors de la dernière réunion de l'ICCAT, en novembre dernier au Brésil. Avant cette réunion, l'Algérie disposait d'un quota de 1100 tonnes, dont 20% ont été accordées à des thoniers japonais et 80% restantes ont été données à 18 armateurs nationaux. Or, l'Algérie n'a jamais atteint son quota. La raison est à chercher dans le fait que les thoniers algériens les plus outillés se trouvent confrontés à de multiples problèmes et blocages. Le ministère de la Pêche et des Ressources halieutiques a, depuis le début de la campagne 2009, imposé des mesures qualifiées de « draconiennes » par les armateurs. S'ils trouvent ces mesures dans leur ensemble de nature à préserver les intérêts économiques de l'Algérie en s'assurant un meilleur contrôle de l'activité pour barrer la route aux pilleurs, les armateurs disent ne pas comprendre pourquoi le ministère leur interdit d'aller pêcher dans les eaux internationales. Des eaux que les autres pays exploitent. Il y a anguille sous roche. Mais cela n'est pas tout dans ce secteur lucratif. Surtout lorsque l'on sait que le prix d'un kilogramme de thon rouge coûte jusqu'à 6 euros auprès des armateurs. L'Algérien Mourad Kahoul, président de l'Association euro-méditerranéenne des thoniers professionnels, estime que les problèmes dans lesquels pataugent aujourd'hui les armateurs sont le résultat d'une « mauvaise gouvernance ». Selon lui, la gestion du dossier du thon rouge n'a pas été à la hauteur des ambitions exprimées dans les importants programmes de relance du secteur. « Le thon rouge, explique-t-il, est une économie incontournable pour le pays. C'est de l'or rouge qu'il faut valoriser. Et l'Algérie dispose d'atouts et de capacités à même de devenir un grand producteur. » Il parle, par exemple, de l'aquaculture en pleine mer, précisant que les côtes algériennes sont très favorables pour cette activité qui compensera les parts perdues dans le cadre des quotas. « Nous avons les moyens et le savoir-faire nécessaires pour ce faire. Comme nous pouvons faire le conditionnement ici en Algérie, au lieu d'importer le thon du Yémen. » M. Kahoul évoque dans ce sillage la concession de sites qui, selon lui, ont été octroyés à des gens qui ne les ont jamais exploités. « Le seul site exploité, c'est celui d'Azeffoun à Tizi Ouzou. Pourtant, l'Etat a fourni de l'aide financière aux exploitants », fait-il remarquer. Il relève également la nécessité de renouveler la flotte : « Pour que l'Algérien mange du poisson, il faut que les armateurs nationaux disposent d'une flotte solide. Car, la flotte actuelle est dans un état critique. Les bateaux de pêche sont obsolètes. » M. Kahoul estime « indispensable », dans ce cadre, de faire un audit national de la flotte. Mais le renouvellement de cette flotte doit se faire dans la transparence la plus totale afin de choisir les meilleurs fournisseurs. Notre interlocuteur évoque dans ce sillage l'affaire des trente chalutiers commandés auprès du chantier naval turc, Ana Group, dans le cadre du plan de relance du secteur de la pêche, où pas moins de 20 milliards de dinars ont été engloutis. Ces bateaux payés déjà à 50% n'ont toujours pas été réceptionnés, pénalisant ainsi leurs propriétaires. A qui profite tout cela ?