– Quelle est l'importance de la nappe albienne présente sous les territoires des Etats maghrébins, est-elle réellement la plus grande réserve d'eau douce au monde ? La nappe albienne est un aquifère souterrain transfrontalier qui s'étend sur un million de kilomètres carrés, à cheval entre l'Algérie, la Tunisie et la Libye. L'Observatoire du Sahara et du Sahel, organisme fondé en 1992 et basé en Tunisie l'intitule : Système aquifère du Sahara septentrional (SASS). Il constitue la principale ressource en eau du Sahara algérien et se compose de deux grands complexes géologiques : le continental intercalaire et le complexe terminal. Le continental intercalaire se présente sous forme d'une nappe artésienne. Elle constitue la plus grande réserve d'eau souterraine dans le Sahara algérien. Cette nappe est surmontée par celle du complexe terminal qui se présente sous forme d'une nappe libre. On définit l'aquifère du continental intercalaire comme étant les formations continentales du crétacé inférieur, comprises entre l'Albien et le Néocomien, et qui sont constituées de sable, de grès avec intercalations d'argiles, dont la profondeur du toit varie de 700 à 1200 m environ. Le réservoir aquifère du continental intercalaire est particulier par son volume considérable dû à la fois à son extension sur plus de 600 000 km2 et à son épaisseur moyenne de plusieurs centaines de mètres. De grandes quantités d'eau y ont été stockées pendant les périodes pluvieuses du quaternaire. Le SAAS cumule un volume estimé à 40 000 km3 dont 30 000 km3 en Algérie! Au cours de la période allant de 1970 à 2000, les différents prélèvements pour l'irrigation, l'industrie et l'alimentation humaine en eau potable n'ont pas cessé de croître, passant de 0,6 à plus de 2,5 milliards de mètres cubes/an à travers plus de 8800 points d'eau où les sources qui tarissent sont remplacées par des forages de plus en plus profonds. Cette exploitation se trouve aujourd'hui confrontée à de nombreux risques : fortes interférences entre pays, salinisation des eaux, disparition de l'artésianisme, tarissement des exutoires… Le SAAS n'est pas la plus grande réserve d'eau douce au monde. C'est le système aquifère des grès nubiens (ou NSAS = Nubian Sandstone Aquifer System) qui est une des plus grandes réserves d'eau souterraines du monde : épais par endroits de 3500 mètres, il couvre plus de 2 millions de kilomètres carrés. Il représente une capacité totale de stockage d'environ 540 000 km3 d'eau douce souterraine emmagasinée. Il est partagé entre l'Egypte, la Libye, le Soudan et le Tchad. La configuration structurale et le climat de la région font que les réserves de ces deux nappes se renouvellent très peu : ce sont des réserves géologiques dont les exutoires naturels (sources et foggaras) ont permis le développement d'oasis où les modes de vie séculaires demeurent en symbiose avec l'écosystème saharien. Il est donc vital pour l'Algérie comme pour ses voisins de préserver et protéger cette réserve fossile contre son exploitation démesurée par la progression du nombre des forages équipés de motopompes provoquant une accélération de l'épuisement de la nappe et le risque accru de son taux de salinité. De même, il est important de procéder à des études, des inspections et de contrôles de la migration des eaux de fracturation dans les forages de récupération du gaz naturel et du pétrole ! L'Agence nationale des ressources hydrauliques (ANRH) joue-t-elle son rôle ? A-t-elle l'autorité, le pouvoir et les capacités d'agir si par ailleurs le Conseil national consultatif des ressources en eau ne s'est jamais réuni ni donné un quelconque avis conformément à la loi nº 05-12 relative à l'eau du 4 August 2005 ? La nappe albienne constitue un potentiel considérable pour lequel il est impératif d'adopter une gestion durable et la mise en place de mécanismes de gestion concertée afin d'éviter qu'elle ne soit polluée et ne fasse l'objet d'une exploitation intensive. – Quelle influence pourraient avoir les projets d'extraction de gaz de schiste en Algérie sur l'environnement et particulièrement sur cette nappe albienne ? La technologie de fracturation hydraulique est incontournable pour la production du gaz de schiste. Elle requiert des quantités considérables d'eau pour chaque puits foré, entre 10 000 et 20 000 m3 d'eau par puits et 0,5% de produits chimiques par quantité d'eau injectée, c'est-à-dire 50 à 100 m3 de produits chimiques injectés dans le sous-sol. C'est inévitablement le sol et le sous-sol qui vont irrémédiablement être contaminés par ces produits chimiques et tous ces rejets de boue et de métaux lourds, dont certains radioactifs, vont polluer l'atmosphère par le rejet de gaz à effet de serre concourant ainsi au réchauffement climatique. Le Sahara étant ce qu'il est, il faudra dépenser de grandes quantités d'énergie pour ramener par milliers de camions-citernes cette eau. On imagine facilement les nuisances sonores, les poussières, la pollution par les gaz d'échappement, les chaussées défoncées et même des accidents routiers qu'il y a lieu de ne pas exclure ! L'exploitation du gaz de schiste va être aussi confrontée à de nombreux risques : fortes interférences entre pays voisins, salinisation des eaux, disparition de l'artésianisme, tarissement des exutoires… Les trois pays concernés par le devenir du SASS sont amenés à rechercher ensemble une forme de gestion commune du bassin : la mise en place d'un mécanisme institutionnel de concertation s'avère nécessaire, sa mise en œuvre devant se faire d'une manière progressive. – Des rapports d'études ont été présentés sur l'impact de l'industrie de schiste sur l'environnement des gisements européens et américains. Quels en sont les conclusions ? Il y a lieu d'abord de souligner qu'il y a une très forte opposition à l'exploitation du gaz de schiste en Europe, au Canada, aux Etats- Unis, en Afrique du Sud pour ne citer que ces pays. L'exemple de la décision récente du gouverneur de l'Etat de New York tout comme celle du Premier ministre du Québec interdisant toute exploitation du gaz de schiste sur leur territoire. Ce que l'Etat français avait déjà adopté par une loi en 2013. Cette attitude est basée sur de multiples travaux de recherche et de publications ayant démontré et prouvé la nocivité d'une telle exploitation qui ressemble d'ailleurs à une grosse bulle financière. Elle a un impact direct sur la santé : affection du système endocrinien, du système de reproduction, du système respiratoire ; impact sur l'environnement par les eaux et boues de forages, l'émanation des fuites de méthane, d'hydrogène sulfureux, de gaz carbonique ; la contamination des puits d'eau est parfaitement bien démontrée par le film documentaire «gas land» ; la dévalorisation des terres agricoles et des biens immobiliers ; la fréquence des tremblements de terre due à la fracturation hydraulique, le rejet d'eaux contaminées, même retraitées, dans les rivières ; l'usage intensif de l'eau dans les régions à fort stress hydrique telles que la Californie, le Texas, la Pennsylvanie, le Colorado… – Est-ce que des études similaires ont été réalisées en Algérie ? A ma connaissance, il n'y a eu aucune étude similaire effectuée par des nationaux. Je me pose même la question si le corps médical, par exemple, a été sollicité pour l'examen et l'étude des pathologies propres au secteur des forages. Par contre, concernant les investigations géologiques et géophysiques, la cartographie, l'analyse des échantillons, elles ont bien eu lieu ! De multiples travaux de recherche, de thèses et diplôme ont été soutenus, des études et des investigations effectuées et réalisées tant par les différents instituts des sciences de la terre à travers le territoire national que par les sociétés nationales ainsi que toutes les compagnies pétrolières et bureaux d'études qui se sont succédé en Algérie et principalement au Sahara, bien avant l'indépendance ! Un travail de recherche ou un rapport n'exige point d'être validé sur le plan juridique. C'est à un comité d'experts de porter un jugement ! Par contre, s'agissant d'un contrat, si. – Comment expliquez-vous que sur la dizaine de milliers de chercheurs algériens, on ne trouve pas d'experts impliqués dans des études sérieuses sur ce genre de questions ? Les chercheurs et les compétences algériennes existent bel et bien et beaucoup sont directement impliqués. Mais ils ne se manifestent pas publiquement pour affirmer une opinion contraire à celle des décideurs, opinion qui risque de leur créer des désagréments professionnels. Quant à ceux qui ont le courage et la volonté de s'exprimer, ceux-là sont tout simplement ignorés quand ils ne sont pas stigmatisés ou mis à l'écart !