«Les neuf chômeurs interpellés à Laghouat sont connus ici quant à leur dévouement pour les causes justes et la défense des droits des chômeurs, résume Safiddine Benadjila, 29 ans, ancien membre de la coordination des chômeurs de Laghouat, qui travaille actuellement comme agent de sécurité dans une multinationale à Hassi Messaoud. Je pense que les autorités veulent les maintenir en prison car ils les dérangent énormément, notamment après l'avènement de la protesta contre le gaz de schiste au Sud.» Neuf chômeurs ont été placés sous mandat de dépôt depuis dix jours à Laghouat. Parmi eux, Belkacem Khencha, 41 ans, père de quatre enfants et responsable du mouvement dans cette wilaya ; El Oulmi Benbrahim, 40 ans et père de deux enfants, et Mohamed Reg, 35 ans. «Ils ont été interpellés pendant le rassemblement qu'ils ont organisé le 28 janvier dernier devant le tribunal de Laghouat en signe de solidarité avec leur ami et membre du mouvement des chômeurs, Mohamed Reg, embarqué par la police le 22 janvier près de son domicile», explique Safiddine. Quant aux raisons de l'arrestation de Mohamed, Me Noureddine Ahmine, avocat des détenus et coordinateur du Réseau des avocats pour la défense des droits de l'homme (RADDH) précise : «Mohamed a été arrêté au passage sur ordre de l'officier en service sans raison apparente. Il est poursuivi pour violences en flagrant délit envers les forces publiques, en application de l'article 148.» Accusés d'«attroupement non armé», les neuf chômeurs placés sous mandat de dépôt ont été jugés par le tribunal de Laghouat, mercredi dernier. Attroupement La veille du jugement, trois autres personnes «qui étaient à la gare routière pour accueillir les gens venus assister au procès» ont été interpellées par la police à 1h du matin. Il s'agit du petit frère de Belkacem, Khalil Khencha, 22 ans, volleyeur professionnel à Oran, de son neveu, Abdelmadjid Benazzouzi, et Younes Charef, 29 ans, étudiant en master Sciences politiques à l'université de Laghouat. Ces derniers, qui ont été présentés le lendemain devant le procureur de la République, ont été eux aussi poursuivis pour «attroupement non armé». Convocation de justice en main pour se présenter devant le même tribunal le 25 février prochain, Kahlil, Abdelmadjid et Younes ont été relâchés le lendemain même vers 15h. «Nous avons été maltraités à l'intérieur du commissariat. L'un des policiers a qualifié d'acte terroriste notre présence à la gare routière de la ville», s'indigne Khalil. «C'est une manière claire des autorités locales de faire obstacle aux chômeurs qui, dans leur majorité, portent des revendications légitimes d'ordre socio-politique», ajoute Younes. Pour le procès des chômeurs, le 4 février dernier, plusieurs avocats ont fait le déplacement à Laghouat pour plaider leur cause. Me Ahmine fait le point sur le contenu de l'affaire. «Ils ont deux chefs d'accusation. Le procureur les accuse aussi d'essayer d'influencer les décisions du juge en organisant un sit-in de soutien en dehors du tribunal, selon l'article 147 du code pénal», explique l'avocat. Et de s'interroger : «Depuis quand les rassemblements de soutien sont-ils interprétés comme une volonté d'interférence aux décisions de la justice de la part des organisateurs ? Cela n'a aucun sens !» Police Dans son rapport, le bureau de Laghouat de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'homme accuse les forces de l'ordre déployées autour du tribunal, le jour du procès, d'avoir des comportements «irrespectueux envers la citoyenneté». «La Laddh condamne cette recrudescence de la persécution exercée par des agents de l'ordre, qui se permettent des droits excessifs au détriment de la citoyenneté», lit-on sur le communiqué de la Laddh. Hamid Ferhi, coordinateur du Mouvement démocratique et social, qui a fait le déplacement d'Alger pour se solidariser avec les chômeurs, qualifie l'affaire de «procès de la honte» : «Le procès fait à Belkacem Khencha est une parodie de justice. Seuls des policiers ont assisté à ce procès de la honte. Son propre père a été empêché d'assister à cette audience surréaliste», et d'ajouter : «La justice vient d'inventer un nouveau chef d'inculpation : pression sur la justice. Ainsi donc, si on devait juger une telle fumisterie, les nombreux manifestants d'hier auraient dû être tous arrêtés. Le verdict sera rendu mercredi prochain, continuons la mobilisation pour la libération des militants de Laghouat et pour un Etat de droit.» Le parquet a requis «deux ans de prison ferme contre tous les prévenus». Le verdict sera connu mercredi prochain. Environ 100 personnes ont participé au rassemblement de soutien. «Ils sont venus de Batna, Relizane, Alger, Oued Souf et El Bayadh. Aucun incident n'a été enregistré, hormis l'interpellation d'un militant venu de Batna et relâché trois heures plus tard», affirme Safiddine qui était aussi présent au rassemblement de soutien. Solidarité Me Ahmine revient sur le procédé utilisé par la police et qualifie les agissements des forces de l'ordre de «contraires» à la loi. «La procédure utilisée par la police lors des interpellations est contraire à la loi. Déjà, ils ne peuvent intervenir que dans le cas d'un trouble public, ce qui n'était pas le cas avec les neuf chômeurs, insiste-t-il. Avant d'intervenir dans le cas d'un attroupement, la police doit d'abord alerter le wali. C'est soit ce dernier, le chef de daïra, le président d'APC ou le chef de la sécurité qui doit s'adresser aux manifestants afin de leur demander de se disperser. Si ces derniers acceptent, alors dans ce cas on ne peut pas parler d'attroupement. Le cas échéant, les policiers ont encore deux autres procédures à appliquer avant de procéder aux interpellations.» Me Ahmine s'étale encore sur le sujet des procédés utilisés par la police et explique leurs objectifs : «La police ignore les lois pour fatiguer et fragiliser les militants. Elle doit absolument cesser ces pratiques, car elle ne peut se mettre au-dessus de la loi, s'indigne l'avocat. Ces arrestations arbitraires constituent une grave atteinte au respect de la liberté des individus et la liberté d'expression garanties par tous les pactes et conventions ratifiés par l'Algérie, donc une violation caractérisée des droits de l'homme, des atteintes et des violations qui ne peuvent être que condamnées avec force. Le Réseau des avocats de défense des droits de l'homme condamne vigoureusement ces pratiques et demande la libération immédiate des détenus.» La Laddh appelle aussi à la libération des détenus et qualifie leur incarcération d'injuste : «Les charges retenues contre les accusés violent délibérément la liberté de réunion et de manifestation pacifique considérées comme des droits fondamentaux. Nous restons solidaires et nous revendiquons, sans conditions préalables, la libération et l'acquittement de tous les détenus», lit-on sur leur communiqué. Sur les réseaux sociaux, la nouvelle du procès des chômeurs a suscité une grande vague d'indignation. Certains se préparent d'ores et déjà pour la tenue d'un deuxième rassemblement de soutien prévu mercredi prochain, jour du verdict.