Consternation est l'expression visible sur les visages des proches et parents qui sont sous le choc ainsi que les amis et militants rassemblés, mercredi dernier, devant le tribunal de Laghouat après l'annonce du verdict des 9 chômeurs détenus depuis 17 jours déjà au sud du pays. Le leader du mouvement des chômeurs de cette wilaya, Belkacem Khencha, ainsi que sept autres militants, interpellés fin janvier lors d'un sit-in organisé devant la même instance en soutien à Mohamed Reg, membre du même mouvement, ont écopé d'une peine de six mois de prison ferme suivie de six autres mois avec sursis. Quant à Mohamed Reg et son voisin, interpellés tous les deux près de chez eux, ils ont été condamnés à 18 mois de prison ferme et d'une amende de 20 000 DA chacun. Après leur retour en prison, les détenus ont immédiatement décrété une grève de la faim illimitée en signe de protestation contre leur jugement. Prison Des peines «exorbitantes» et «inattendues», avoue, à sa sortie du tribunal, Me Noureddine Ahmine, l'un des 14 avocats des détenus et coordinateur du réseau des avocats de défense des droits de l'homme (RADDH) : «C'est un jugement politique.» Le caractère politique donné à ce procès par Me Ahmine est ressenti par tous les présents mercredi à Laghouat, y compris les familles des détenus. Le bureau de Laghouat de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'homme (LADDH), à sa tête Sofiane Benadjila, a condamné le jugement en le qualifiant de «hors la loi». «Le jugement est en total violation de la constitution et contraire aux libertés, dénonce le président du bureau de Laghouat de la LADDH. Il n'y aura aucune limite. Le tribunal vient de nous affirmer une chose, il n'y aura aucun contrôle sur les décisions parachevées des magistrats qui ont condamné à tort des chômeurs.» Le RADDH a préféré commencer son communiqué par une citation de Belkacem Khencha, qui était sa réponse à un jeune de Laghouat qui lui disait qu'il fallait instaurer un Etat islamique en Algérie : «Les Algériens sont comme les doigts de ma main. Ils sont différents mais sont tous sur le même bras.» Et d'ajouter : «Le tribunal de Laghouat vient de condamner cette sagesse et cette clairvoyance, par un jugement rendu, en catimini, avant presque l'ouverture de l'audience.» Solidarité Des militants et des habitants de Laghouat qui ont pris part à la réunion au bureau de la LADDH se sont mis d'accord sur une action commune. Ils ont décidé de lancer un appel à la désobéissance civile qui paralysera prochainement Laghouat. L'information a fait le tour des réseaux sociaux, des médias et journaux et a suscité une grande vague d'indignation de la part des militants et des défenseurs des droits de l'homme. Al Habib Lalili, qui a assisté au procès, accuse les autorités de vouloir «opprimer» les voix libres. «Le système politique, qui manque d'arguments quant au gaz de schiste et de solutions quant à la chute des cours du pétrole, essaye d'orienter l'attention de l'opinion publique, estime Al Habib. C'est un système qui manque de légitimité et qui s'attaque à tous les militants qui s'opposent à lui et à sa politique défaillante.» Du côté des partis politiques, le Mouvement démocratique et social (MDS), dont le coordinateur Hamid Ferhi était présent mercredi, condamne le jugement dans un communiqué rendu public hier : «Le verdict prononcé à Laghouat s'inscrit dans une campagne de répression des forces populaires et démocratiques.» La LADDH, les familles des disparus, le Snapap et la Confédération générale autonome des travailleurs algériens (CGATA) ont réitéré, à travers leur communiqué, leur soutien aux chômeurs de Laghouat Sur le plan international, trois ONG de défense des droits de l'homme ont condamné la sentence. Il s'agit de la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH), de l'Observatoire de protection des défenseurs des droits de l'homme (OBS) et du Réseau euro- méditerranéen des droits de l'homme qui, dans un communiqué signé à Copenhague, Paris et Genève, les trois ONG ont émis trois revendications : «La libération immédiate et inconditionnelle de tous les détenus, mettre fin à tout acte de harcèlement à leur encontre et garantir l'exercice des libertés de réunion, d'association et d'expression, conformément à la Constitution algérienne et les dispositions du Pacte international pour les droits civils et politiques (PIDCP), ratifié par l'Algérie.» Les familles craignent le pire pour leurs enfants qui ont entamé une grève de la faim, qu'elles qualifient de «précoce». «J'ai peur pour sa santé mais en même temps, je sais bien qu'il ira au bout de ses convictions», affirme le père de Khencha. Les militants s'organisent pour ce qu'ils appellent, la «réplique», maîtres Noureddine Ahmine et Abdelaghani Badi, président du bureau d'Alger de la LADDH, quant à eux, prévoient une conférence de presse sur l'affaire des chômeurs de Laghouat, qu'ils animeront demain à 11h au bureau de Me Amine Sidhoum, sis au 7, rue Ben Bachir Ben Azzouz, l'immeuble du quotidien El Mihwar, au square Port-Saïd, à Alger.