«La manière dont sont gérées les wilayas du Sud nous inquiète beaucoup. Nous n'avons jamais connu de problème de logement à Laghouat, Ouargla ou Ghardaïa. Pourquoi est-il posé aujourd'hui ?» se demande maître Salah Dabouz, président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'homme (Laddh). «Le problème reste politique. La gestion des conflits entre les citoyens et les autorités locales est toujours instrumentalisée au profit de ces dernières afin de détourner le citoyen des vrais problèmes quotidiens. Je vous rappelle que l'origine du problème à Ghardaïa était une manifestation contre une liste de bénéficiaires de logements non encore distribués, ce qui est le cas actuellement à Laghouat. A Ghardaïa, ce problème a été instrumentalisé par les autorités locales. Ils lui ont donné une forme tribale qui a conduit à une tuerie», explique encore le président de la Laddh. La marche organisée le 8 juin dernier par les chômeurs de Laghouat en solidarité avec les demandeurs de logements, dont le sit-in a été empêché le jour même devant la daïra et la wilaya de Laghouat, a tourné à la confrontation avec les forces de l'ordre. Arrivés à la place de la Résistance, les manifestants ont été accueillis par un énorme dispositif policier. Ils ont tenté d'interpeller des dirigeants du mouvement, ce qui a provoqué une émeute qui a enfumé le centre-ville durant l'après-midi. Bilan : plusieurs personnes hospitalisées du côté des manifestants et quinze policiers blessés, affirme le bureau de la Laddh à Laghouat. Prison Au final, quinze personnes ont été embarquées, dont deux mineurs. En garde à vue, ces manifestants ont tous été jugés le mercredi 15 juin. Le verdict était lourd pour ces demandeurs de logement. Ils ont tous écopé de six mois de prison ferme suivie d'une amende de 50 000 DA. Seize autres personnes sont en fuite actuellement, dont la plupart font partie du mouvement des chômeurs. Quatre d'entre eux ont fini par se rendre à la police. Accusés d'attroupement armé, de violence faite contre les forces publiques et de destruction des biens d'autrui, ces militants ont été condamnés par contumace à une peine de deux ans de prison ferme et une amende de 150 000 DA. Parmi les fugitifs, figure Mohamed Erreg, dit Manchon, (à cause d'une malformation de son bras gauche). L'infatigable a été interpellé à la sortie de son domicile, le 30 juin dernier, après avoir été longuement pourchassé par la police. De son côté, la Laddh aile-Debouz, représentée par Yacine Zaïd, président du bureau à Laghouat, dénonce la répression contre des manifestants pacifiques et responsabilise les autorités locales qu'il décrit de «provocatrices». Les chômeurs alertent l'opinion publique sur la gravité de la situation. «Les autorités locales ont lancé une chasse à l'homme contre les militants chômeurs», déclare Belkacem Khencha, responsable du mouvement dans cette wilaya. Pour eux, «les autorités veulent en finir avec les mouvements protestataires, notamment avec les chômeurs». Répression Ce mouvement, présent dans la plupart des contestations initiées à Laghouat, dérange ! «Les autorités locales nous ont envoyé un message clair. Elles veulent enterrer notre mouvement en nous mettant tous en prison. Par la répression féroce, elles nous poussent à la radicalisation de nos méthodes de lutte mais nous ne céderons pas», fustige Khencha. Alors que la plupart des meneurs de ce mouvement sont en prison ou en fuite, Khencha restait jusque-là le seul à ne pas avoir été inquiété par la justice avant d'être convoqué, fin juin, par la police. «J'ai été entendu au commissariat central. C'est le P/APC de Laghouat qui a déposé plainte contre moi. Ses accusations n'ont aucun fondement. Ce n'est pas pour autant que nous allons arrêter le combat. Nous allons continuer à lutter par les moyens pacifiques pour défendre nos droits les plus élémentaires et pour la libération de tous les détenus en prison», insiste Khencha. Le bureau de Laghouat de la ligue rassure les familles et affirme que 19 avocats se sont volontairement proposés pour défendre les détenus. A ce sujet, maître Nourredine Ahmine, fervent défenseur des droits humains et avocat des chômeurs, critique les accusations infligées aux protestataires. «Il est vrai que la ville de Laghouat a connu des incidents regrettables suite aux émeutes du 8 juin, mais il n'y a aucune preuve contre les personnes arrêtées lors de ces événements et poursuivies en justice», explique Me Ahmine. Inquiétude Les familles des concernés ne comprennent plus les sentences prononcées contre les leurs. Pour Hichem Benherraza, frère de Moussa, 27 ans, interpellé le jour des émeutes, l'emprisonnement de son frère est injuste. «Moussa était de passage lorsqu'il a été embarqué. Il a été condamné à six mois de prison ferme alors qu'il n'a rien à voir avec la manifestation !», s'emporte Hichem. C'est le même sentiment pour la mère de Mohamed Ziadi, détenu lui aussi à Laghouat : «Je ne connais même pas les raisons de son emprisonnement. Je demande à ce qu'on libère immédiatement mon fils.» A Laghouat, il n'y a pas que le mouvement des chômeurs, «la société civile», un mouvement reconnu pour être «proche des autorités locales et parallèle aux autres mouvements», dirigé par Khemisti Bensafidine, a aussi payé le prix de ces derniers événements. «C'est ce mouvement qui a été à l'origine des deux sit-in, des demandeurs de logement, organisés conjointement devant la daïra et devant la wilaya. Il paraît qu'ils n'ont pas impliqué Khemisti dans l'élaboration de la liste des bénéficiaires, ce qui a provoqué sa colère. Nous avons entendus des rumeurs disant que les bénéficiaires ne sont pas de Laghouat !», avoue un citoyen proche du mouvement qui a tenu à garder l'anonymat. Khemisti est d'ailleurs emprisonné et encourt une peine de six mois de prison ferme. Son frère, Aïssa, qui l'a vu récemment en prison, appelle le wali de Laghouat à intervenir pour le cas de son frère. Débordement «Mon frère est déçu, car il est abandonné même par les autorités locales. Pourquoi fait-on appel à lui quand il y a des problèmes et il est abandonné quand il a vraiment besoin d'aide ?», s'interroge Aissa. Les risques que peut engendrer la répression exercée au Sud inquiète Me Debouz. «Cela peut déborder à tout moment à Laghouat, comme ça été le cas à Ghardaïa. Les autorités veulent occuper les citoyens par de faux problèmes pour les éloigner des réalités politiques amères du pays. Un point important à souligner, le responsable actuel de la sûreté de la wilaya était à Ghardaïa. Il a mis le feu là-bas et veut refaire la même chose à Laghouat», signale-t-il. Alors que certains ont été acquittés par la justice, d'autres attendent leur deuxième audience programmée pour le 7 juillet prochain pour ceux qui ont été interpellés le jour des émeutes. Ceux qui se sont rendus ou qui ont été arrêtés récemment, comme Mohamed Erreg, passeront, le 9 juillet, devant le tribunal de Laghouat après opposition au premier jugement qui est de deux ans de prison ferme et 150 000 DA d'amende. Les onze restants, en état de fuite, risquent toujours la même peine que Manchon. Me Ahmine se dit optimiste sur la suite des jugements. La Laddh s'inquiète au moment où les chômeurs s'organisent pour une action d'envergure de soutien et de solidarité avec tous les détenus dans cette affaire.