Voyager, c'est aller à la rencontre de l'autre mais surtout se chercher dans cet autre qui sans le savoir nous révèle. Il ne s'agit pas là d'un thème philosophique à soumettre à débat mais juste une impression face à une situation qui a eu le mérite de nous révéler une partie de nous-mêmes qu'on croyait inexistante. Une épreuve particulièrement rude a dévoilé en nous un insoupçonné goût de l'aventure et une volonté de challenger cachée dans les profondeurs de notre âme. Malaisie. De notre envoyée spéciale C'est l'essence même du tourisme d'aventure que nous avons expérimenté à Sabah, une province malaisienne où nous avons eu le plaisir de tester un des circuits les plus prisés par les touristes et qui est celui d'escalader le mont Kinabalu. Une montagne haute de 4095 mètres, et dont le pic nargue bien de haut les nuages. Nous entamons notre ascension avec l'enthousiasme et le regard neuf d'un découvreur qui a jeté sur un parcours toute sa curiosité. Notre guide anglophone, Geoffrey ne cesse de nous avertir qu'il ne s'agit pas d'une partie de plaisir mais d'un réel parcours sportif qui nécessite de l'endurance et de la témérité. « J'ai vu des marathoniens russes s'affaler au bout du troisième kilomètre. Sachez qu'il ne s'agit pas des six kilomètres que vous empruntez d'habitude, c'est un parcours sinueux et une escalade qui s'accompagne d'une réduction sensible du taux d'oxygène, donc faites attention si vous sentez que vous ne pouvez plus continuer redescendez ! », nous dit-il en s'assurant que nous avons acheté du chocolat nécessaire pour remettre notre énergie d'aplomb à chaque halte. Nous prenons acte des conseils de notre guide que nous avons laissé au niveau de la station de Kinabalu Park sans trop nous soucier de la difficulté du parcours. Une insouciance que nous aurons à regretter au bout du cinquième kilomètre. Nous suivons bien sagement notre jeune guide-ranger, Jaidi Gesiken, qui nous montre sur une carte le chemin à suivre. « Le meilleur record d'escalade a été fait en un peu plus de deux heures, sauriez-vous faire de même », nous dit-il sur un ton moqueur. Nous répondons avec beaucoup d'enthousiasme que oui, mais sans vraiment y mettre une note affirmative. Seule comptait pour nous la découverte des lieux et arriver à gravir ces fameux six kilomètres et demi qui font peur aux connaisseurs. Nous avançons donc d'un pas serein et d'un regard contemplatif sur ces lieux où la verdure a trouvé son trône. Nous restons admiratifs devant tant de beauté que la nature a su ciseler rendant caducs et sans attrait les plus beaux palais du monde. Le mont Kinabalu, un trésor floral unique Les espèces végétales qui s'offrent à nos yeux tel un cœur aimant sans retenue, nous laisse sans voix. Nous nous perdons dans tant de dégradé de vert et d'arbres de différentes tailles qui ornent ce maquis aux mille et une surprises. Une chute ciselant verticalement un cours d'eau nous ouvre les bras vers l'aventure. L'expédition s'annonce riche en surprises et cela ne fait qu'ajouter à notre curiosité un zest d'excitation. Nous empruntons l'entame du parcours avec de l'énergie à revendre, mais plus on avançait et plus nous aurons à découvrir qu'il nous fallait bien plus que de l'enthousiasme pour pouvoir gravir cette montagne qui semble dire à ses visiteurs qu'ils doivent mériter de la voir. Nos pas franchissent aisément les premiers 500 mètres ; puis un kilomètre, pour l'heure, notre énergie demeure intacte. Nous rencontrons d'autres grimpeurs venus d'horizons divers, de continents différents. Nous nous arrêtons pour prendre des photos avec certains et discuter avec d'autres. Nous tentons de situer géographiquement l'Algérie à nos interlocuteurs qui pour la plupart est une contrée inconnue. Un constat amer qui nous renvoie à ce déficit en promotion dont souffre notre grand et beau pays. Un journaliste philippin, qui semble, contrairement à nous, bien outillé pour la circonstance, nous aide à gravir quelques marches difficiles d'accès. Vraisemblablement habitué à de telles épreuves, sa cadence semble bien plus rapide que la nôtre. Nous l'invitons donc à continuer son ascension pour ne pas le retarder. Nous continuons notre petit bonhomme de chemin qui se transformera petit à petit en un vrai chemin de croix. Mais il était hors de question de rebrousser chemin. Même les pleurs d'une jeune fille australienne, visiblement éreintée par un tel parcours, ne nous feront pas fléchir ; le défi est lancé, autant y aller jusqu'au bout. L'humidité, qui caractérise le climat dans la région de Sabah, trouve dans ce maquis un terreau fertile. Dans un décor de jungle, s'ajoutaient chaleur, humidité et averses. Plus on avançait dans l'altitude, plus le brouillard tombait de son poids pesant sur ce décor digne des premières expéditions humaines. Ceci n'arrangeait pas notre affaire, puisque nous avions oublié, ou que notre guide avait oublié, de nous préparer à l'avance à nous munir d'un passe-montagne ou d'un capuchon. Soumise au climat équatorial, la région du sud-est asiatique est sujette à un niveau de chaleur et d'humidité inchangé durant toute l'année. La pluie tombe de temps à autre alors que la température reste immuable avoisinant les 33°C de même que le taux d'humidité est supérieur à 80%. Plus nous avancions, plus l'oxygène se raréfiait. Nous sentions au bout de 3,5 km notre plein d'énergie afficher une courbe descendante. Nos quelques provisions de chocolat arrivaient elles aussi à leur fin, nous ingurgitons avec force appétence les dernières gouttes qui restaient dans notre bouteille d'eau. Heureusement qu'à tous les 500 mètres, une halte offrait aux marcheurs un point d'eau ruisselante et non traitée venant de la haute montagne. Désormais réussir à gravir la barre des 500 mètres devenait en soi-même un exploit. La tâche est de plus en plus difficile. L'escalade, une épreuve physique des plus rudes Le manque d'oxygène et l'effort physique soumettent notre corps à rude épreuve. Les marcheurs qui se croisent, certains sur le chemin du retour, d'autres sur celui du défi, se donnent des encouragements. « Bonne chance et courage », nous lancent en descendant ceux qui la veille avaient accompli le même parcours. On nous dit qu'un record a été accompli par une enfant de dix ans qui est arrivée à gravir jusqu'au sommet de la montagne. Un témoignage qui remit d'aplomb notre moral et nous donna du courage pour reprendre notre combat sur nous-mêmes. Il faut dire que le sentier emprunté n'était pas fait pour nous faciliter la tâche, ce n'était surtout pas les marches du Festival de Cannes. Des marches non régulières dessinaient le sentier. Tantôt de petites marches à girons non droits, tantôt des degrés de pierres se succédaient sans régularité ; nos pieds peinaient à trouver une surface lisse et facile d'accès. Nous restons admiratifs devant ces femmes et hommes transportant des quantités énormes de marchandises sur leur dos, gravissant avec souplesse et promptitude ce slalom. « Ces ouvriers peuvent transporter jusqu'à 50 kilogrammes et font le parcours en 2 heures 30 minutes ou 3 heures, et redescendent le même jour », nous explique notre guide Jaidi. Nous restons pantois devant une telle prestation de force physique et d'énergie. A noter que ces employés transportent les denrées nécessaires à l'auberge et au refuge qui se trouvent à 3300 mètres. Aucun moyen moderne n'est utilisé pour le transport que ce soit des marchandises à l'aller ou au retour. L'introduction de machines motorisées risque de porter atteinte à l'environnement et à la nature. Nous n'avons peut être pas autant de force que ces braves ouvriers, mais nous avons au moins un peu de volonté et de courage pour continuer notre chemin sinueux, et pour cela nous choisissons de prendre notre temps et de ne surtout pas faire une course contre la montre. La barre des quatre kilomètres et demi a sonné notre épuisement. Les dix minutes de repos que nous observons à chaque halte ne suffisent plus à recharger nos batteries. Chaque mètre devient à ce stade du parcours un véritable calvaire. Nous comprenons à ce niveau de la marche que des exercices physiques préalables sont obligatoires. On ne peut prétendre suivre un tel parcours sans préparation. Nous étions essoufflés, fatigués, nos battements de cœur rythmaient la chamade. Sous l'emprise d'une chaleur collante et une pluie agaçante, nous sentons nos nerfs lâcher. « Je n'en puis plus », lançons- nous, arrivés à 5 kilomètres d'escalade. « You can do it » (vous pouvez le faire), nous dit, en signe d'encouragement, notre jeune guide. Nous nous disons que le plus gros est passé mais grand bien nous fasse, le pire restait à faire. Les derniers mètres frôlaient le supplice, l'effort que nous fournissions était insoutenable. Nous cherchions dans le regard de notre guide l'espoir d'être enfin arrivés à bon port, mais hélas, ses mots sonnaient comme une sentence. « Il reste encore 500 mètres », dit-il, lui qui avait passé le parcours à siffler comme si c'était une partie de plaisir. Ce n'était pas le cas pour nous, en tout cas pas durant les deux derniers kilomètres. La réponse de Jaidy était semblable à un coup de massue. Mais que faire, la nuit commençait à tomber, on n'avait pour seul choix que de continuer, même à quatre pattes. Seule la volonté continuait à nous pousser, l'énergie nous a faussé compagnie depuis déjà le 5e kilomètre. Première Algérienne à 3319 m d'altitude pour toiser les nuages Il est 18h, nous avons parcouru 5,700 km, l'auberge commençait à être visible. Nous y sommes presque, épuisés, à bout de souffle, mais nous avons presque atteint notre but. Le sentier devient comme par malchance ou surprise de mauvais goût plus sinueux. Nous faisons face à des rochers qu'il faut gravir en faisant attention où mettre les pieds. Nous avons presque envie de déclarer forfait. « Y en a marre ! », lançons-nous dans un moment de colère. Ne comprenant pas le français, Jaidy arrive tout de même à lire sur l'expression de notre visage une colère provoquée par la fatigue. « Vous y êtes presque », nous dit-il. Arrivés à hauteur d'un refuge, nous pensons que c'était enfin la fin, mais Jaidy presque désolé nous dit que l'auberge est à 100 mètres encore. Quelle déception. Nous nous remîmes en route en ne pensant qu'à accéder à l'auberge pour enfin lâcher notre corps meurtri sur un lit. Ce fut chose faite quelques minutes plus tard, et quelques peines supplémentaires. Il faisait nuit, nous étions très fatigués mais fiers de ce que nous venions d'accomplir. L'accueil qui nous a été réservé à l'auberge nous remit d'aplomb, la chaleur humaine qui caractérise la population de Sabah et les employés de Kinabalu Park tranchaient avec le froid hivernal qui nous attendait une fois arrivés à 3319 mètres d'altitude. Eh oui, nous y sommes arrivés, avec beaucoup de peine mais nous avons tenu bon et nous fûmes bien récompensés. Quelle ne fut notre joie grande et sans borne lorsque nous découvrirons au petit matin, un paysage des plus fantastiques. Nous restons sans voix devant un tapis de nuage qui était dressé à nos pieds. Un magnifique spectacle qui vaut toutes les peines du monde pour être vu. On ne voyait plus les nuages d'en bas mais bien d'en haut, nous donnant presque l'envie d'y plonger. Une nuée blanche étendue dans un formidable écrin de chaînes montagneuses. Nos peurs et notre fatigue s'évanouissent dans ce décor féerique que même la fiction est incapable d'imaginer. Une vision de rêverie qui nous laisse admiratifs et en adoration devant la grandeur de Dieu qui a façonné une telle beauté. Le pic, haut de 4095 mètres, coiffé de soleil, nous fait signe d'en haut, et les nuages en contrebas affalés comme un vaincu dans un combat nous invitent presque à danser dessus. Une scène que nous conseillons à tous les amoureux de l'aventure et de la découverte. Mais comme une joie ne vient jamais seule, nous apprenons à notre grand étonnement que nous sommes les premiers Algériens à avoir tenté ce parcours. Moi-même, donc, et mon confrère. Nous redescendons les mêmes marches que nous avions peine à gravir la veille, le cœur gros en émotion et un sentiment de satisfaction et de béatitude d'avoir surmonté un défi et d'avoir porté aussi haut le nom de l'Algérie, et tout ça sans calcul ni préparation.