sous le titre Littérature canadienne, le département de français de l'université d'Alger propose aux éditions du Tell des impressions de lecture sur quelques auteurs canadiens, plus précisément québécois, qui s'expriment dans la langue de Molière, donc écrivains francophones comme la grande majorité des écrivains algériens. L'intérêt de cet ouvrage fort intéressant réside dans sa qualité de rédaction et d'innovation en la matière. Cet ouvrage mérite qu'on en parle dans cette chronique car son contenu peut être une source d'inspiration pour les lecteurs d'El Watan qui souhaiteraient découvrir des romanciers qui sont, il faut bien le dire, méconnus sous nos cieux. Outre la présentation des auteurs et l'impression de lecture du roman choisi, un extrait de l'œuvre se trouve à la fin de chaque étude, ce qui donne donc la possibilité de se faire sa propre opinion avant l'acte d'acquérir l'ouvrage. L'inspiratrice de ce travail collectif est Bouba Mohammedi Tabti, que je salue pour tant de témérité, tant on connaît les difficultés de travail lorsqu'on aborde un tel chantier. Tout en citant ici et là quelques noms de contributeurs, je vais plutôt mettre l'accent sur les romanciers et les poètes québécois. Les romanciers sélectionnés sont Antonine Maillet, Réjean Ducharme, Marie-Claire Blais, Anne Hebert, Cécile Gagnon, Nancy Huston, Robert Lalonde, Jacques Poulin, Marco Micone, Dany Laferrière et Gaston Miron. Antonine Maillet est une romancière qui s'exprime de manière quasi autobiographique dans Le temps me dure où elle tente de retrouver l'enfant qu'elle a été, une thématique qui parle à beaucoup de lecteurs. C'est un roman de l'identité et de la recherche de soi dans lequel Radegonde, personnage principal, se veut conteuse pour lutter contre le vieillissement et l'angoisse de la mort. La narratrice écrit, comme le dit Nora Kazi Tani, pour « recréer à sa façon le monde laissé incomplet par Dieu ». L'écriture de Antonine Maillet est décrite comme chaleureuse et jouisseuse. Le roman Dévadé de Réjean Ducharme, est également une sorte d'autobiographie qui retrace la vie ratée, voire la malvie de l'auteur dans un Montréal particulier, à la manière des auteurs américains de la Beat Generation. Le romancier y décrit un mal-être et une solitude difficile à assumer, avec la problèmatique de la dualité de culture, anglophone et francophone. Quant à Marie-Claire Blais, elle a obtenu le prix Medicis en 1966 pour son roman Une saison dans la vie d'Emmanuel. C'est l'histoire d'une famille canadienne dirigée de main de maître par une grand-mère au caractère bien trempé, Antoinette qui n'obéit à aucun homme. Voilà qui va plaire. Les histoires de chaque membre de la famille y sont racontées, et l'auteur amuse le lecteur en ridiculisant l'église, l'école, les représentants d'un pouvoir, ces « fossoyeurs de l'innocence ». Le roman Kamouraska écrit par Anne Hebert est abordé à la fois par Youcef Immoune et par Bouba Mohammedi. Anne Hebert a elle aussi obtenu de nombreux prix littéraires. Karamouska semble être un roman puissant, dans lequel le lecteur s'investit, car il y a un véritable ancrage canadien doublé d'une universalité convaincante. La romancière parle de l'amour, de la haine, de la vie, de la mort à travers son personnage central, Mme Rolland qui lutte contre le conformisme, pour la liberté intellectuelle, morale et sentimentale. Histoire d'amour, histoire de passion, histoire d'une quête d'absolue, au-delà de toute morale. Pour ceux qui veulent en savoir plus sur les origines de ce Québec francophone, de voir comment des populations se sont installées du côté du lac Saint Jean, il faut lire C'est ici mon pays de Cécile Gagnon qui dit ceci : « Il me semblait utile de faire connaître aux jeunes d'aujourd'hui comment leurs arrière grands-pères et arrières grands-mères ont réussi grâce à une détermination et une force de caractère peu communes à se tailler une place dans le beau pays du lac Saint Jean. » Nancy Huston est abordée par Afifa Bererhi et Christiane Chaulet Achour. Afifa analyse avec brio le paratexte de Instruments des ténèbres qui est un roman où Nancy Huston mêle les époques et emprunte aux textes anciens pour écrire un roman éminemment moderne. Nancy Huston évoque ainsi la gémellité et la dualité des êtres humains, que serait Dieu sans le Diable ? Et vice-versa. La gémellité, un thème récurrent dans la littérature québécoise. Au-delà de la profondeur philosophique du roman, la structure de celui-ci interpelle le lecteur. La question de l'exil est abordée dans ce roman. En effet, l'exil est implicitement présent, il a pour nom la solitude qui habite les personnages. Quant à Cantiques des plaines, l'autre roman de Nancy Huston, la trame tourne autour de quatre générations d'une famille d'immigrants dans l'Alberta. L'histoire raconte la vie de Padon qui rencontre l'indienne Miranda, une amante prodigue qui le bouleverse en lui « révélant l'envers de la civilisation blanche » comme le souligne Christiane Achour. Le métissage, l'altérité, l'identité, la recherche des origines sont les thèmes majeurs de ce roman bouleversant. Par ailleurs, Le diable en personne de Robert Lalonde raconte l'histoire de Warden Laforce, un métis errant, qui voyage entre les Etats-Unis et le Canada. Ce personnage préfère la liberté à l'emprisonnement. La thématique de ce roman s'inscrit dans cette idée. Le texte montre avec une poésie évocatrice quarante années de vie et l'impossible place du métis qui a toujours soif de liberté. L'autre roman de Robert Lalonde, Sept lacs plus au nord, est abordé par Saïd Benmerad. Là, les Indiens canadiens sont certainement au centre du récit. Ressourcement, voyage initiatique, révolte ancrent ce roman dans un espace/non espace. Amina Azza Bekkat évoque avec passion Volkswagen Blues de Jacques Poulin où là encore il s'agit d'une rencontre d'un écrivain en mal d'inspiration avec une métisse, mi-indienne, mi-blanche, au XIXe siècle, à la manière des Road Novels, à la manière aussi de Kerouac. Le goût des livres, de l'amour, des voyages, de la liberté... est l'ingrédient de ce récit qui se lit avec plaisir, nous promet Amina Bekkat. D'autres romans sont présentés avec clarté comme Le figuier enchanté de Marco Micone qui raconte l'émigration italienne à Montréal, Le pays sans chapeau de Dany Laferrière qui est d'origine haïtienne, et qui raconte sa double appartenance. Le lien souvent s'impose entre cette littérature canadienne francophone et la littérature algérienne, de par les thèmes qui ont trait à l'identité, à la langue, à l'exil, à la quête de soi, à la dualité. Dans les deux littératures, les grands espaces sont présents comme le conclut si bien Mourad Yelles avec un beau texte intitulé Le traversier de Timimoun. Mourad joue sur les préoccupations existentielles et littéraires de Gaston Miron et de Kateb Yacine, ces écrivains canadiens, algériens, ces traversiers qui attendent « toujours le voyageur qui s'égare ». Ces voyageurs sont les lecteurs que nous sommes, enseignants, étudiants, lecteurs pour le plaisir aussi, à la recherche de la vérité et de l'absolu, peut-être... Bouba Mohammedi Tabti, Littérature canadienne, Impressions de lecture, Blida, éditions du Tell, 2005.