Comme chaque année, au mois d'août on célèbre la Libération, sans jamais dire que des Algériens ont été des résistants. Comment avez-vous travaillé pour retrouver leur trace ? J'ai travaillé en dehors de la mémoire officielle. Je découvre des éléments chaque jour. Comme Abdelkader Mesli, qui était imam et a aidé à sauver à la grande mosquée de Paris des centaines de juifs, qui a sa carte de résistant, de déporté. Je suis en contact avec son fils. Ce 17 août, on doit se rendre à Sorgues dans le Vaucluse parce que son père, lorsqu'il a été déporté en 1944, il était dans un train qu'on a appelé le train fantôme. Il a mis deux mois pour arriver en Allemagne car en plusieurs endroits les résistants menaient des escarmouches contre le convoi. On a retrouvé une association à Sorgues dont un des adhérents encore vivant était avec Mesli dans le train. Peu à peu, des éléments s'ajoutent. Depuis que la BD est sortie chez Glénat, j'ai d'autres noms d'Algériens. Un type m'a dit que son père était capitaine dans le maquis. Il avait des Algériens avec lui… et on a une autre piste qui s'ouvre, celle des Algériens qui ont été déportés. Depuis votre livre Résistants oubliés, réalisé avec Olivier Jouvray et dessiné par Baptiste Payen, combien de noms avez-vous recensés ? Ce n'est pas évident. J'ai des fiches et surtout des stèles que j'ai découvertes avec des noms de coloniaux, sur Auxerre, Dijon, à la Montagne noire, dans les maquis dans l'Isère autour de Grenoble, je ne peux pas dire le nombre. On peut en tout cas estimer pour l'instant à une centaine. Comment peut-on expliquer cette présence des Algériens, et de manière plus large des coloniaux, dans la Résistance et les maquis français ? L'origine est multiple. Après la défaite française en juin 1940, les Nord-Africains qui n'avaient pas été fait prisonniers ou massacrés, avaient deux solutions : tenter de retourner au pays ou prendre le maquis. Certains l'ont fait pour se prémunir ou venger les exactions allemandes. D'autres ont été réquisitionnés dans les usines, comme dans l'Isère au maquis de l'Oisans, du Vercors, Uriage… et ils ont rejoint les maquis sur insistance des résistants français pour combattre les SS. Il y a d'autres cas. Prenons celui de l'Ain. Un train a été déraillé par des combattants, parmi lesquels des Maghrébins. Je viens de trouver une dizaine de noms, cités dès 1940. Ce qui voudrait dire que de la centaine de noms que vous avancez on pourrait arriver à plusieurs centaines, voire un millier voire plus ? On pourrait y arriver puisqu'il y avait aussi des Malgaches, sur lesquels je n'ai pas travaillé ; sur tous les Africains car il n'y avait pas que des Sénégalais, mais aussi des Guinéens, des Maliens… Toutes ces pistes je ne les ai pas explorées, de même que les Indochinois. Si on veut aller plus loin, il y a également les Antillais. Dans les maquis français il y avait tout le monde, cela représentait l'Europe et la France dans sa diversité coloniale. Justement, la mise à l'écart de cette histoire ne trouve-t-elle pas une raison dans les guerres de décolonisation dans lesquelles des résistants coloniaux se sont ensuite engagés ? Je le pense. On dit même que des maquisards dans l'ALN ont été torturés par des soldats français qui avaient été collègues à eux dans la Résistance en France ; ce sont des on-dit, mais cela résume bien le changement de situation. Comment faire pour avoir plus d'informations ? Bien sûr, si des familles, en Algérie ou en France, ayant des infos veulent me contacter, cela serait utile. Déjà, dans l'administration civile ou militaire il y a beaucoup d'éléments qu'il faut ensuite croiser. Je crois qu'une volonté gouvernementale française faciliterait les choses afin de lutter contre la montée du racisme en disant la vérité sur la participation des coloniaux aux guerres et aux maquis. De tout temps ils ont été les guerriers de la France, depuis 1856 la Guerre de Crimée, puis la guerre du Mexique entre 1862 et 1867, puis la Guerre de Prusse (1871), la guerre de 1914-1918 et la guerre de 1939-1945. Si on le reconnaissait, cela irait beaucoup mieux. • Résistants oubliés, par Kamel Mouellef, Olivier Jouvray (co-scénariste), Batiste Payen (dessinateur), avril 2015, Edition Glénat, France.