La longue séquence Toufik est désormais fermée. Il quitte le Département du renseignement et de la sécurité (DRS) au terme d'un houleux processus de «désagrégation-restructuration» d'un appareil aussi omnipotent qu'hégémonique. Un «démantèlement» rendu nécessaire à la fois pour des impératifs sécuritaires nouveaux et une impitoyable lutte d'influence entre les pôles du pouvoir. Son successeur, le général-major Bachir Tartag, un enfant de la «boîte» qui s'est forgé une réputation d'homme «dur» durant l'implacable lutte menée contre le terrorisme, hérite pour ainsi dire d'un appareil rabougri. Dicté par une conjoncture chargée d'une double menace sécuritaire – domestique et externe – le tout nouveau patron des Moukhabarate sera investi de la mission de recentrer le travail et le rôle des Services du renseignement : l'espionnage et le contre-espionnage. Mais il est fortement recommandé au DRS sous sa nouvelle configuration de libérer le champ politique et social qu'il a indûment occupé de tout temps. C'est une exigence démocratique. Cependant, le chef de l'Etat, qui va sans nul doute tenter de «rentabiliser» politiquement l'orchestration de cette semaine en arborant la mise à l'écart de Toufik comme une victoire, poursuivra-t-il le «chantier de restructuration» en touchant les autres pôles du pouvoir ? Ou se contentera-t-il de la «domestication» d'un DRS hypertrophié à son goût ? En clair, les décideurs agissent selon un agenda préétabli et, auquel cas, quel serait l'aboutissement d'un tel processus et surtout quel sens politique devrait-il prendre ? Et pour rester dans le domaine de la sécurité et de la défense, l'armée sera-t-elle concernée par le même type de restructuration qu'ont connu les Services du renseignement ? S'il est évident que l'ANP est passée à une nouvelle étape de «modernisation et de professionnalisation», dotée de moyens énormes et sophistiqués, elle devrait également retrouver sa vocation initiale : la défense du territoire. Jeux d'influence Déjà au cœur de l'architecture du pouvoir depuis l'indépendance du pays, l'état-major de l'armée sort aussi «victorieux» du récent jeu d'influence dans le sérail. En récupérant les instruments jadis entre les mains du DRS, l'état-major voit son hégémonie indéniablement renforcée. Le général de corps d'armée, le chef d'état-major Ahmed Gaïd Salah, apparaît aujourd'hui, à la faveur de la nouvelle configuration, reprendre du galon politique. L'un des centres de gravité du régime s'est déplacé aux Tagarins. Gaïd Salah, qui a pesé de tout son poids, a usé de son influence pour obtenir le quatrième mandat de Bouteflika et s'est rendu aussi indispensable qu'incontournable, subira-t-il le même sort que son camarade Mohamed Mediène ? Cette option est-elle prévue dans le plan du chef de l'Etat aux articulations inconnues pour le moment ? Pour nombre d'observateurs, il s'agit d'une feuille de route appliquée avec brutalité et dans un cafouillage angoissant qui «touchera également le chef d'état-major en poste depuis 2004, mais pas seulement». Repêché par Bouteflika au lendemain d'un second mandat aussi improbable que problématique, le vice-ministre de la Défense est devenu, au fil des années et des crises, un allié de taille au pouvoir de Bouteflika. Gaïd Salah, à qui l'on prête à tort ou à raison des ambitions politiques, cèdera-t-il sa place facilement dans le cas où Bouteflika déciderait de se séparer de lui ? «C'est un classique dans notre système de pouvoir, ça se termine toujours dans la douleur», a observé un ancien haut dirigeant. En l'absence d'arbitrage, Toufik étant retiré de la scène, le face-à-face Bouteflika-Gaïd Salah risque d'être rugueux. Ce sera d'autant plus problématique que le pays fait face à une crise économique dont l'impact sera déterminant dans les décisions politiques. L'équipe gouvernementale menée par Abdelmalek Sellal montre des signes de faiblesse à mesure que la crise économique et sociale approche. Le pays pourra-t-il se payer le luxe de naviguer à vue avec un gouvernement fébrile ? Abdelaziz Bouteflika, qui a œuvré «avec patience» à affaiblir les généraux de la période du terrorisme et qui, au début de son mandat, refusait d'être un «trois quart de Président», donne l'impression, à l'entame de son quatrième mandat, d'être un hyperprésident impotent. Un paradoxe de l'histoire. Pour des analystes, le tout devrait être parachevé par une révision de la Constitution qui interviendra, à en croire Ahmed Ouyahia, avant la fin de l'année. Dernier acte ? Ira-t-il jusqu'à convoquer une présidentielle anticipée comme le «prédit» Louisa Hanoune ? En somme, si le départ de Toufik signe la fin d'une époque, il en inaugure une autre, entourée de mystère. La démocratie attendra.