Une mise à la retraite rendue nécessaire par les impératifs de restructuration des services de renseignement ou résultat de règlements de comptes entre généraux rivaux qui se disputaient le pouvoir réel de décision ? Deux thèses s'opposent pour analyser le limogeage du général Toufik, jusque-là l'homme le plus influent du pays. Décryptage... Les hostilités entre le général de corps d'armée, Mohamed Mediène dit Toufik, désormais ex-chef du Département du renseignement et de la sécurité (DRS), et le nouveau patron de la maison, qui n'est autre que l'ex-n°2, Athmane Tartag dit Bachir, ont commencé dès le limogeage de ce dernier dans la foulée de l'affaire Tiguentourine. Cette attaque terroriste de janvier 2013 qui s'est soldée par la plus grande prise d'otages de l'histoire, dénouée dans le sang avec la perte d'une quarantaine de ressortissants étrangers et l'arrêt du site gazier de Tiguentourine dont la production représente 15% des exportations algériennes, devait être punie et la responsabilité de Bachir était donc engagée au même titre que celle de son chef qui dirige le pays depuis un quart de siècle. Mais, au lieu d'assumer son échec et démissionner, Toufik, dont la position est ébranlée au sein de l'establishment militaire suite à cet attentat, a sacrifié son poulain Bachir qu'il a lui-même rappelé en 2011 pour gérer la situation sécuritaire que le chaos provoqué par la chute des régimes politiques dans plusieurs pays voisins risquait d'impacter. Toufik a fait alors valoir l'efficacité du Service de coordination opérationnelle et de renseignement antiterroriste (Scorat) du général Abdelkader Aït Ourabi dit Hassan, qui aurait alerté contre un imminent attentat ciblant des installations pétrolières deux semaines avant la prise d'otages. Un affront que Bachir n'a jamais digéré, lui qui s'est sacrifié dans la sale besogne qu'on lui avait confiée durant la décennie 1990, en usant de méthodes exécrables qui lui ont valu de prendre la tête des listes noires de la plupart des ONG de défense des droits de l'Homme. Sauf que Bachir, qui venait de sortir d'une longue traversée du désert imposée par la mise en œuvre de la politique de réconciliation, a bien ficelé ses alliances cette fois-ci. D'autant que l'argument de Toufik imputant en partie la responsabilité dans la prise d'otages de Tiguentourine aux responsables de l'état-major qui n'auraient pas exploité convenablement les renseignements, mêmes tronqués, obtenus par les éléments de Hassan sur le plan des assaillants. Il n'y avait donc pas mieux pour se mettre dans les bonnes grâces du chef d'état-major Ahmed Gaïd Salah dont la rancœur vis-à-vis de Toufik est de notoriété publique depuis que ce dernier, en accord avec l'ancien chef d'état-major, feu Mohamed Lamari, avait suggéré au président de la République de le mettre à la retraite en 2004. Cette alliance Gaïd Salah-Tartag a scellé le sort de Toufik quelques mois avant l'élection présidentielle d'avril 2014. Gaïd Salah-Tartag : le duo qui a scellé le sort de Toufik L'hospitalisation du président de la République au Val-de-Grâce en avril 2013 et l'opposition de Toufik au 4e mandat ont fait le reste. La panique qui s'est emparée du clan présidentiel face à la réticence du faiseur attitré de présidents l'a contraint à se mettre sous le parapluie du duo Gaïd Salah-Tartag qui a profité de la situation pour la redistribution des cartes au sein de l'institution militaire, colonne vertébrale du régime et source du pouvoir en Algérie. Un Bouteflika diminué, qui n'est plus maître de ses actes et à qui on attribue symboliquement les décisions, est l'instrument adéquat pour faire le nécessaire en vue de torpiller Toufik jusque-là l'homme le plus puissant du pays. Et, il n'en fallait pas plus pour que le duo Gaïd Salah-Tartag mette la machine en branle. En s'appuyant sur Tartag qui connaît bien le DRS et ses méthodes, Gaïd Salah a bloqué toutes les velléités d'opposition de Toufik au 4e mandat. Ainsi, la bravade signée par le SG du FLN Amar Saâdani, deux mois avant le scrutin, contre Toufik, un entretien accordé au journal électronique TSA et qui ressemble à un audit de l'activité du DRS sous le commandement du général Mohamed Mediène, est venue démystifier le département le plus redouté en Algérie. C'était pour baliser le terrain à la restructuration du DRS qui participe de la stratégie de Gaïd Salah et Tartag visant à affaiblir Toufik. Si Tartag, même sans poste après son limogeage, peut se prévaloir de réseaux aux ramifications tentaculaires, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays, son rappel à la Présidence comme conseiller, quelques mois après la bravade de Saâdani, l'a encore légitimé dans son action. Ce faisant, toutes les structures qui ne relèvent pas des métiers de base du renseignement ont été enlevées à Toufik, soit en les rattachant à l'état-major, soit, carrément, en les dissolvant. Il a fallu aussi neutraliser les concurrents potentiels aspirant au poste qu'occupe Mohamed Mediène. L'arrestation du général Hassan dans des conditions qui restent encore à élucider et le limogeage du général Kehal Medjdoub dit Djamel, chef de la Direction générale de sécurité et de la protection présidentielle (DGSPP), après "l'incident de Zéralda", au demeurant deux hommes de confiance de Toufik, ont ouvert la voie à Tartag pour imposer son autorité au sein du DRS. De la sorte, Gaïd Salah et Tartag ont poussé Toufik vers la sortie, lui laissant suffisamment de temps pour démissionner et préserver son honneur. Mais, lui n'a pas su quitter la table. Ce qui s'est passé n'augure en tout cas ni d'un changement dans l'attitude du régime ni n'intègre une démarche de modernisation des services de renseignement en les recentrant sur leur métier. Cela a juste recentré la décision autour d'un autre noyau du régime et d'un nouveau marionnettiste. L.H.