Nous sommes au milieu d'une expansion folle. Je suis accro aux séries et pourtant je n'arrive plus à tout regarder», constate Tom Nunan, professeur à la UCLA School of Theatre Film and Television. «Mes amis me disent: tu as regardé Stephen Colbert ? Eh bien non. Je n'ai pas le temps», ajoute-t-il. Le patron de la chaîne câblée FX, John Landgraf, a fait sensation récemment en suggérant qu'avec 371 séries diffusées aux Etats-Unis l'an dernier et 400 attendues cette année, «le pic de la télé en Amérique» a peut-être été atteint. Il a déclenché un débat dans la presse américaine sur le thème «y a-t-il trop de télévision» voire, pis encore, «trop de bonne télévision» ? Depuis quinze ans, la production pour le petit écran s'est accélérée avec l'émergence des chaînes câblées et à péage, à l'instar d'HBO, Showtime, AMC etc, puis celle des groupes internet Netflix, Hulu, Amazon, Vimeo… Face au succès de programmes comme Mad Men d'AMC, de House of cards ou Orange is the new black sur Netflix, et dernièrement de Transparent sur Amazon, l'industrie télévisuelle s'est lancée dans une course effrénée à la production. Une véritable «ruée vers l'or», comme le décrit M. Nunan. «Il y a maintenant soixante diffuseurs qui en achètent», d'où un effet multiplicateur, ajoute-t-il. Au risque de voir la qualité s'en ressentir ? Pas pour Tom Nunan en tout cas. Il y a, selon lui, plus que jamais des séries «extraordinaires» qui capturent l'air du temps et captivent l'audience dans le monde entier, comme Game of Thrones, en tête des nominations (24 au total, dont déjà 8 prix récoltés samedi dernier lors d'une cérémonie dédiée aux prix techniques et créatifs), ou Walking dead, sur les morts vivants, un genre souvent boudé dans les cérémonies de prix. La fragmentation de l'audience et les nouveaux modèles économiques de diffuseurs comme Netflix ou AMC, qui reposent sur les abonnements et non sur la publicité, permettent aussi de prendre davantage de risques créatifs. Netflix, AMC, HBO, ont pour «stratégie» de créer la sensation avec des séries phénomènes, «complexes, sophistiquées» qui font franchir le pas à de nouveaux abonnés, souligne Robert Thompson, professeur de pop culture à l'université de Syracuse. Qu'importe si l'audience est plus faible qu'avec une sitcom car, une fois abonnés, les gens le restent en général. Thompson note aussi qu'il y a «beaucoup de séries moins ambitieuses artistiquement mais très bien exécutées» comme Empire, dont l'actrice principale Taraji P. Henson concourt pour l'Emmy de la meilleure actrice dramatique face à Claire Danes (Homeland) et Robin Wright (House of Cards) notamment. Risques créatifs Dans un paysage audiovisuel sur-saturé, Tom Nunan s'attend toutefois à voir de plus en plus de titres ne pas trouver leur public… voire à ce que leurs chaînes de diffusion fassent faillite. «Elles n'ont pas la force de frappe financière pour faire connaître leurs séries ou attirer les stars ou les meilleurs scénaristes», remarque-t-il. Les récompenses médiatisées comme les Emmys deviennent d'autant plus cruciales pour assurer la «visibilité d'une série», notent MM. Thompson et Nunan. Au jeu des pronostics, M. Nunan parie que Game of Thrones va une nouvelle fois louper le prix de la meilleure série mais que Jon Hamm, star de la série culte Mad Men dont les derniers épisodes ont été diffusés cet été, va enfin décrocher la statuette du meilleur acteur. Ce dernier sera en concurrence avec Kevin Spacey (House of Cards), Jeff Daniels (Newsroom) et Bob Odenkirk (Better Call Saul).