Après le scandale de Sidi Amar ayant entraîné, fin 2004, la mise sous mandat de dépôt du président du conseil communal et sept de ses proches collaborateurs, entre élus, cadres et techniciens, c'est au tour de la commune d'El Hadjar de la même daïra de s'apprêter à vivre une situation similaire. Au départ, le dossier n'était rien d'autre qu'un contentieux portant sur des terres agricoles détournées de leur vocation et des locaux commerciaux attribués à des proches de responsables et élus de l'APC d'El Hadjar. En fait, dans cette commune, où le mètre carré coûte plus cher qu'ailleurs, où les affaires de trafic d'influence, de foncier agricole et bradage du patrimoine de la commune font la fortune de certains, les habitants ont l'impression que tous les détenteurs d'un quelconque pouvoir de décision local font la loi. Avec l'enquête déclenchée par de nombreux ministères, dont la Défense, l'Intérieur et les Finances, les quelque 40 000 âmes qui résident à El Hadjar sont convaincues que leur commune s'était transformée en une entreprise florissante pour d'anciens et actuels élus et fonctionnaires. Cette affaire a pris de l'ampleur lorsque d'anciens agriculteurs natifs de la localité ont découvert une plaque indicatrice du projet de réalisation de 80 logements. Chose qui aboutira aux oreilles des riverains de ce lot de terrain de plusieurs hectares de terre hautement fertiles. Sur cette plaque, ni la nature de l'opération et encore moins le numéro du permis de construire obligatoire avant le lancement des travaux n'y figurent. Pour combler le grand vide de ce tableau placé bien en vue en bordure d'un chemin de wilaya très emprunté, les auteurs ont inscrit l'entreprise maître de l'œuvre et le nom du bureau d'études. « Ce n'est pas une terre agricole, mais une surface faisant partie de la propriété du centre de formation agricole. Elle est destinée à recevoir un hôpital de 120 lits et 80 logements sociaux. Effectivement, plusieurs délibérations de notre conseil communal ont été annulées par le chef de daïra qui a constaté qu'elles comportaient des anomalies, à l'image des attributions des kiosques à El Karma et des locaux commerciaux du marché couvert. Il y a également cette affaire de marché de gré à gré et celle liée au recrutement de gens proches de certains élus ou fonctionnaires. Nous travaillons en coordination avec le chef de daïra pour reprendre en main cette situation qui a énormément nui au développement de notre commune dans tous les domaines du quotidien des citoyens », a indiqué M. Kettache, président de l'Assemblée populaire communale. Il avait suppléé au pied levé le départ de l'ancien président issu des dernières élections locales. Il faut dire que depuis des années, dans cette commune, on a inventé le système d'évasion fiscale à grande échelle, à savoir les opérations dites « triangulaires ». Elles permettaient à de grosses pontes intéressées par des locaux, un terrain, des logements (pour les revendre sans payer les droits réels), des marchés de gré à gré de s'enrichir via l'Apc-daïra-services de wilaya. Opérattions triangulaires Le cas de ce colonel à la retraite est le plus révélateur de cet affairisme effréné qui a saisi les barons de la commune. Bon nombre de ces derniers, impliqués ou éclaboussés par une multitude d'affaires louches récentes dans la commune voisine de Sidi Amar, n'ont toujours pas été inquiétés. « Alors que je croyais prendre en charge l'une des communes les plus riches d'Algérie, j'ai découvert qu'El Hadjar est en fait la plus pauvre. Il s'y passe pas mal de choses anormales. Comme ces factures d'électricité, d'eau et de gaz dans des locaux privés et payées par la commune, la dilapidation du patrimoine immobilier, mobilier et foncier, le recrutement fictif, mais avec de vrais salaires, et la série est encore longue. El Hadjar est une commune sinistrée. En ce qui concerne les travaux des 80 logements, le permis de construire existe. Une omission n'a pas permis son inscription sur la plaque dont vous parlez. Ce n'est pas un terrain agricole », explique Boudemagh Tahar, chef de daïra d'El Hadjar, en poste depuis à peine six mois. Au siège de la commune d'El Hadjar, le temps est aux dénonciations. Des documents portant des infractions aux différentes lois circulent sur la place publique. L'on y décèle clairement l'application d'un système de commissions sur marché, des cagnottes et des prébendes dans cette commune dont les caisses sont aujourd'hui placées dans l'œil du cyclone des services de la wilaya. La machine des avantages, faveurs et échanges de services particuliers y a travaillé à plein régime au profit des décideurs locaux. Logements sociaux, fonciers et locaux commerciaux ont fait l'objet d'un partage au sommet. Ce dossier, actuellement épluché par les services de sécurité, met en relief un conseil exécutif communal déchiré entre ses féodalités et miné par des luttes intestines. Pris dans les griffes de la justice, certains élus détiennent de nombreuses informations sur des actes préjudiciables à la collectivité. A ces affaires s'ajoute celle de l'ancienne agence Air Algérie, dont la location aurait été bradée au bénéfice d'un privilégié du système. Il y a également ces deux fonctionnaires qui, non contents de recruter leurs ascendants ou descendants dans les services de la commune, s'arrogaient le droit de leur faire bénéficier des locaux commerciaux, patrimoine communal. Situation que dément catégoriquement le président de l'APC. Il a précisé : « C'est vrai que la tendance au bradage du patrimoine de notre commune était réelle. Nous avons pris nos dispositions pour faire en sorte que le prix de la location soit conforme à la réglementation. En ce qui concerne les recrutements et attributions des locaux commerciaux, il s'agit d'abus de quelques fonctionnaires, notamment celui dont le fils travaille dans notre institution et qui s'est octroyé un local au marché couvert. Il y a aussi un autre qui a fait recruter quatre membres de sa famille. En collaboration avec le chef de daïra, nous avons repris la situation en main pour que pareils actes ne se reproduisent plus. » L'actuel chef de daïra en charge des deux plus importantes communes de la wilaya, El Hadjar et Sidi Amar, n'a rien contre son prédécesseur. D'un revers de la main, il balaie la question sur l'implication éventuelle de ce dernier dans ce qui s'apparente à une mise à sac du patrimoine et de la trésorerie de cette daïra. Mais il semble être à l'aise pour voir en la commune d'El Hadjar un « fromage » pour des élus et des fonctionnaires locaux ainsi que leurs proches. Tout porte à croire que, dans sa démarche, ce commis de l'Etat ne manque pas de munitions explosives. Dès son installation, il a été d'une certaine manière à l'origine de la réactualisation du dossier des détournements, trafics et passations de marchés contraires à la loi dont se seraient rendus coupables le président de l'APC de Sidi Amar et plusieurs de ses proches collaborateurs incarcérés depuis. Il serait aussi derrière l'enquête, actuellement en cours, diligentée par le ministère de l'Intérieur sur les terres agricoles et les domaines de la République détournés par des personnalités. Il est en quelque sorte l'auteur du « polar » de cet hiver à l'origine d'un préjudice qui s'élève à plusieurs centaines de millions de dinars. Faux recrutement, vrai salaire Une bonne part de ce préjudice avait disparu sous le couvert de passation de marchés de gré à gré, dans les vrais/faux recrutements effectués par les responsables de la commune d'El Hadjar. « J'ai été alerté à l'occasion d'une de mes visites dans un établissement scolaire d'une saleté repoussante. Le directeur m'a signalé qu'il n'avait pas de femme de ménage et qu'il n'en a jamais eu. Or, j'ai découvert par la suite que la commune avait détaché une permanente. En fait, cette travailleuse était payée pour rester chez elle depuis des années », a indiqué M. Boudemagh. Il ne s'agit pas là d'un cas unique en ce sens que le président de la commune et le chef de daïra ont avancé plusieurs exemples de vrais salaires versés à des travailleurs fictifs. Tout concorde à dire que tant à l'APC d'El Hadjar qu'à Sidi Amar, les élus et certains fonctionnaires se seraient aventurés dans des domaines autres que la prise en charge du quotidien de leurs populations. Dans ces deux localités distantes de 11 km du chef-lieu de wilaya, le népotisme s'est transformé en culture. La plupart des agents et cadres des deux APC sont parents ou amis des élus et des fonctionnaires. Tant et si bien que la caste dirigeante s'octroyait de substantiels avantages de carrière de poste. Promotions fulgurantes, salaires toujours en hausse, frais de missions importants et menus cadeaux étaient offerts aux copains et aux membres de la « famille ». La politique avait également un chapitre sur le registre de la gestion financière de la commune. Les liens étroits qu'un commis de l'Etat entretenait avec Ali Benflis, un des deux candidats à la présidence de la République, était un secret de Polichinelle. Ce commis de l'Etat avait mis tous les moyens de la commune au service de ce candidat. « Certes, il n' y a pas eu de trou budgétaire dans ce dossier, mais toutes les opérations ont été engagées au détriment de l'intérêt général », a martelé l'actuel chef de daïra. Il y a quelques semaines, il avait réussi le tour de force d'attribuer 180 logements sociaux sans avoir eu à enregistrer la moindre opposition dans ce dossier à chaque fois remis aux calendes grecques par son prédécesseur. « Il m'importe que mes engagements n'aient pas été respectés dans la réalisation de tel ou tel autre projet que les APC d'El Hadjar et de Sidi Amar m'avaient confiés sur la base de bons de commande conformes à la réglementation. Les responsables n'avaient qu'à faire suivre les travaux commandés. Ils ne l'ont pas fait, ce n'est pas mon problème puisqu'ils ont signé les procès-verbaux de réception. Ce qui ne m'a pas empêché de demander et obtenir mon dû via la justice. » Tels sont les propos d'un entrepreneur qui, en termes sibyllins, a reconnu que la majorité des marchés de gré à gré passés par l'APC n'était rien d'autre qu'un subterfuge appliqué par certains pour s'enrichir avec la complicité d'entrepreneurs véreux. « J'ai effectivement constaté un nombre impressionnant de bons de commande d'un montant variant entre 3 et 4 millions de dinars. Ils portaient sur des travaux ou des opérations non planifiés et improvisés. Je ne dis pas qu'ils sont fictifs ou douteux, mais tout de même. Poursuivie en justice à maintes reprises par ses fournisseurs, dont des entrepreneurs, la commune ne s'est jamais fait représenter à l'audience. Il va de soi qu'elle perd tous ses procès, y compris ceux qu'elle aurait pu gagner », a souligné le chef de daïra. La Gendarmerie enquête Pour l'heure, tout ce dossier est entre les mains des enquêteurs du groupement de la Gendarmerie nationale de Annaba. Il aurait été saisi, via sa hiérarchie, par les services de la présidence de la République. Selon des indiscrétions, les enquêteurs se soucieraient d'abord de l'aspect pénal de l'affaire : faux en écriture publique (fort nombreux), abus de confiance, vol de documents et de biens publics, utilisation des biens de l'Etat à des fins personnelles, trafic d'influence... Depuis plusieurs semaines, ils dépouillent des milliers de documents, vérifient le paiement des fournisseurs et entrepreneurs, recoupent leur destination et comparent les signatures des différents présidents d'APC, des précédents chefs de daïra et chefs de service. Les mêmes enquêteurs s'interrogent sur les complicités éventuelles au niveau des différentes administrations de l'Etat. Elles auraient permis cette gigantesque carambouille depuis des années. Comment les deux communes d'El Hadjar et de Sidi Amar avaient-elles pu, durant des années, perdre d'importantes sommes d'argent sans attirer sur elles les foudres de la wilaya ? Grossières erreurs de gestion, manque de clairvoyance dans la gestion des dossiers ou actes commis en connaissance de cause ? Questions que l'opinion publique locale se pose depuis que l'affaire de la commune d' El Hadjar a été ébruitée. Pour l'heure, ce dossier relève encore du confidentiel même si, sur instructions de la Présidence, la Gendarmerie nationale enquête, et une information judiciaire risque d'être engagée à l'encontre de tous les présidents d'APC et chefs de daïra qui s'étaient succédé à El Hadjar et Sidi Amar. Un dossier extraordinairement embrouillé et explosif où il sera question de fausses factures, de pots de vin et de financement politique. Le tout sur fond de gestion chaotique. Résultat, de 1995 à 2004, la daïra d'El Hadjar, avec ces deux communes de plus de 100 000 habitants, aurait perdu plusieurs centaines de millions de dinars censées avoir été engagés pour le développement local et dans la prise en charge du quotidien des citoyens.