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Hocine Aït Ahmed ou l'histoire de l'avenir
Publié dans El Watan le 28 - 12 - 2015

Le 31 août 2006, avec quelques camarades du conseil national, nous nous sommes élevés publiquement contre les pratiques antidémocratiques du secrétariat national du FFS. L'instance nationale du parti nous avait traités alors de tous les noms d'oiseaux pour délégitimer notre action, utilisant ainsi le raccourci le plus payant auprès des militants de base : «Manipulés par les ‘‘services'' pour injurier Hocine Aït Ahmed» !
Aujourd'hui, Hocine Aït Ahmed n'est plus de ce monde. Et au-delà de la peine et du chagrin que je ne peux masquer, je soutiens, des années après, que cet épisode qui n'est en fin de compte qu'une larme de l'histoire, ne visait nullement le zaïm. Son envergure, son aura et ses visions dépassaient les frontières étroites du parti. Il incarnait l'Algérie rêvée, l'héritage théorique et historique du combat pour la démocratie.
A travers son périple combatif de 70 années bien pleines, c'est toute l'histoire de l'Algérie d'aujourd'hui qui est contée. Bien sûr, des centaines de milliers d'Algériennes et d'Algériens anonymes ont sacrifié leur vie pour l'Algérie, mais l'on sait aussi que dans les grands moments de lutte, idéologique et politique, des hommes sortent du lot et deviennent dès lors l'incarnation d'un pan entier de notre Histoire.
Hocine Aït Ahmed est de ceux-là, lui qui, à 16 ans, encore lycéen, adhère au PPA et devient le plus jeune membre de son Comité Central.
Lors d'un congrès clandestin du PPA tenu à Belcourt, il avait exhorté ses camarades pour la création d'une Organisation spéciale (OS) chargée de la formation des cadres militaires et de la mise en place d'un dispositif clandestin pour amorcer et développer la lutte armée. L'année suivante, en 1948 et à Zeddine, il présente au CC du PPA un rapport décisif sur les formes et la stratégie de la lutte armée pour l'indépendance. C'est la naissance de l'OS.
Le Bureau politique lui confie la direction, en remplacement de Mohamed Belouizdad, atteint de tuberculose. Durant deux ans à la tête de l'OS, il mit en place à l'échelle nationale les structures pour la formation politique et militaire, anticipant ainsi la préparation de la guerre de libération. C'est dans ce contexte qu'il organise le braquage de la poste d'Oran, qui permit, en mars 1949, de s'emparer d'une importante somme d'argent, sans effusion de sang, ayant permis l'acquisition des premières armes pour la future ALN.
Pour une reconnaissance internationale de la lutte du peuple Algérien
Suite au démantèlement de l'OS, Aït Ahmed, recherché par les autorités françaises, s'exile au Caire en mai 1952. Membre de la délégation extérieure du PPA-MTLD, il insiste sur l'importance du volet diplomatique pour donner une meilleure visibilité politique au niveau international du mouvement de libération.
Ainsi, il assiste à la première conférence des partis socialistes asiatiques, réunis en janvier 1953 à Rangoon, en Birmanie. L'une des premières résolutions adoptée par cette instance était le soutien de la lutte de libération du Maghreb. La conférence met en place un bureau anticolonial chargé de suivre les luttes indépendantistes auprès de l'Organisation des Nations unies (ONU). C'est dans ce contexte qu'Aït Ahmed se rend au Pakistan, en Inde et en Indonésie pour créer des comités de soutien à la cause nationale.
En avril 1955, il dirige la délégation algérienne à la conférence de Bandeng dont les résolutions prises lors de cette manifestation étaient en faveur du droit à l'autodétermination et à l'indépendance, comme l'explique le premier président du GPRA, Ferhat Abbas, dans son ouvrage Autopsie d'une guerre (p. 177) : «L'impact international se produisit pour la première fois à la Conférence internationale de Bandeng où nous avons vu Aït Ahmed faire preuve de ténacité et d'habileté. Durant des mois, il alla prêcher en Asie et il parvint ainsi à vaincre les hésitations du président Nehru, du Premier ministre Chou En-lai, et du président Nasser. Avec l'appui de ces trois hommes d'Etat, la partie était assurée d'être gagnée.»
En avril 1956, il ouvre et dirige le bureau de la délégation du FLN à New York avec M'hamed Yazid et Chanderli. Septembre de la même année, le problème algérien est inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée générale des Nations unies. Ce qui provoque le retrait retentissant de la délégation française, présidée par le Premier ministre Antoine Pinay.
En octobre 1956, Aït Ahmed est arrêté par les autorités coloniales, en compagnie de Mohamed Boudiaf, Mohamed Khider, Ahmed Ben Bella et Mostefa Lacheraf, suite à l'arraisonnement de l'avion qui les conduisait du Maroc à Tunis où devait se tenir une conférence maghrébine de la Paix. Ce fut le premier détournement d'avion dans l'histoire de l'aviation civile ! Détenu avec ses compagnons de lutte dans une prison en France jusqu'à l'indépendance, il n'a cessé d'appeler avec insistance les dirigeants du FLN-ALN à la création d'un gouvernement provisoire en exil. Cette initiative contribuera à résorber la crise interne suscitée par des responsables qui s'opposent au Congrès de la Soummam tenu en août 1956.
La lutte pour un État démocratique et social
Le 5 juillet 1962, c'était l'indépendance. L'Etat devait se construire selon sa définition dans la déclaration de Novembre 1954. Seulement, l'Etat censé réguler le pouvoir unique à partir des exigences de la société dans sa diversité est devenu l'enjeu de la politique au lieu d'en être le moteur. Aït Ahmed, lui le député fraîchement élu, avec ses compagnons du mouvement national libérateur et des moudjahidine avec leur esprit de responsabilité, se sont élevés pour barrer la route aux prédateurs qui voulaient privatiser l'Etat et le mettre exclusivement à leur service. Il prouvera, avec ses camarades, à l'opinion nationale qu'ils ont la volonté et les ressources nécessaires pour :
1. Opérer le redressement de la Révolution algérienne.
2. En assurer la continuité en instaurant un régime fondé sur l'adhésion populaire, seule garante de justice sociale et de liberté.
3. Garantir aux Algériens le droit à la citoyenneté et la dignité qu'elle procure après 130 de colonisation.
Le FFS est né et se positionne en rassembleur de tous les exclus du système ! L'affrontement est inévitable. La victoire militaire était impossible pour les deux parties en conflit. La nécessité d'une négociation globale s'imposait. Les premières tractations débutent entre janvier et février 1965, et se concluent par des accords qui prévoyaient «la libération de tous les détenus politiques» et «l'intégration des militants du FFS dans la vie active».
La deuxième phase des négociations porte sur le volet politique qui doit reprendre après la conférence afro-asiatique d'Alger prévue pour fin juin 1965. Les jalons du multipartisme sont jetés. Le FFS est reconnu de facto comme deuxième parti du pays comme le titrent à la une les quotidiens Le Peuple et Alger Républicain du 16 juin 1965. Malheureusement, un certain 19 juin 1965, un Conseil de la révolution s'accapare publiquement et officiellement du pouvoir et l'armée inaugure son premier «redressement» en Algérie. C'est en fait un coup d'Etat militaire. Arrêté en octobre 1964, Hocine Aït Ahmed est condamné à mort, puis grâcié à la veille de l'Aïd El Adha. Le 1er mai 1966, Aït Ahmed s'évade de la prison d'El Harrach et se réfugie en Suisse.
Après 23 ans d'exil, Aït Ahmed rentre en Algérie en décembre 1989. Mais l'assassinat de son compagnon de lutte, l'historique Mohamed Boudiaf, en direct à la télévision le 29 juin 1992, pousse encore une fois Aït Ahmed à s'exiler pour continuer à mener son combat.
Le 2 février 1999, il est de nouveau en Algérie. Candidat à l'élection présidentielle la même année et après une campagne électorale menée à travers tout le pays, il sera victime d'un infarctus et sera transféré en Suisse à l'hôpital de Lausanne pour y être soigné.
Après sa convalescence, il poursuit son combat politique et assume ses responsabilités avec courage pour chercher la vérité et la dire. Car, pour lui, le patriotisme aujourd'hui c'est la démocratie. Son credo ? Le Droit d'avoir des Droits, d'abord par la lutte contre le joug colonial, et ensuite dans la redéfinition d'une perspective démocratique.
Épilogue : Connaître le passé pour mieux anticiper l'avenir
Aujourd'hui, il est grand temps de replacer tous les événements historiques, y compris ceux qui fâchent, dans leur contexte, pour faire voler en éclats les idées reçues et les préjugés. Ce sera un gage aussi captivant que convaincant pour démentir les versions dites officielles de l'histoire qui ne reflètent trop souvent qu'une singulière caricature de notre passé.
Réhabiliter l'honneur de nos héros, c'est en fin de compte purifier l'histoire de notre glorieuse Révolution, c'est aussi indiquer la route à la nation tant il est vrai que le parcours de ces précurseurs de la démocratie, à l'image de Hocine Aït Ahmed, sont la voie idéale et salutaire pour l'unité et la cohésion nationales. «L'historiquement correct» doit céder le pas à l'histoire. Car, pour comprendre ce que peut être l'avenir, il faut raconter l'histoire du passé. L'histoire permettra de prévoir l'organisation des décennies à venir.
Repose en paix Si L'Hocine.


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