Une idée vitale fait son bonhomme de chemin. Il devient de plus en plus accepté que sans modernisation managériale profonde aucun espoir n'est permis pour les entreprises et l'économie algérienne. A moyen terme, nous ne pouvons être compétitifs dans le concert des nations sans une mutation profonde des pratiques managériales. Il n'est pas permis de croire que nous pouvons mettre sur le marché des produits et des services avec un meilleur rapport qualité/prix alors que nous avons des dizaines d'années de retard managérial sur la compétition. Nous sommes en train de comprendre petit à petit que le management constitue l'arme la plus redoutable dont disposent les pays avancés et émergents pour nous battre sur les marchés. Le management explique, en grande partie, pourquoi les ex-pays socialistes ont perdu leur bataille économique, puis leur aura politique. On ne peut pas pratiquer un management sous-développé et prétendre régler les problèmes économiques du pays. Il faut privilégier dans l'ordonnancement des réformes le développement humain et la généralisation d'un management de plus en plus performant. Il ne faut surtout pas faire l'erreur de considérer qu'uniquement les entreprises économiques ont besoin du management (business management). Les institutions à but non lucratif (hôpitaux, universités, administration, etc.) ont besoin de beaucoup plus de management que les entreprises économiques. Ce qui explique que les performances dérisoires de ces institutions est en fait lié à leurs pratiques managériales. L'idée est en train de faire son chemin, mais pas suffisamment. On ne sait pas par quel bout maîtriser le problème. Problématique managériale Lors de nombreuses conférences sur l'économie algérienne, je focalise mes analyses sur les pratiques managériales des entreprises et des institutions non économiques, et ce, pour plusieurs raisons. La première est que nous avons là la cause «causante» de notre inefficacité. La seconde est surtout liée au fait que peu d'analystes traitent de cette question. Le plus souvent, on focalise sur la macroéconomie (importations, inflation, chômage, déficit du budget, dépendance des hydrocarbures). Il y a beaucoup de choses à tirer de ces analyses. J'ai moi-même fait beaucoup de recherches sur les politiques macroéconomiques des pays développés, émergents et sous-développés. Nous disposons de précieux instruments à ce niveau-là pour comprendre et expliquer beaucoup de phénomènes économiques. Mais pour notre pays, en plus de la sociologie politique qui éclaire grandement sur notre situation, les pratiques managériales sont si décalées par rapport au reste du monde que l'amélioration économique devient impossible sans faire des améliorations substantielles dans ce domaine. Mais ça bouge du point de vue de l'offre, mais très peu du point de vue de la demande. On recense plusieurs institutions et consultants qui proposent des séminaires et des services de conseils très divers dans ce domaine. Il est normal que lorsqu'une profession s'érige petit à petit, beaucoup de non-professionnels s'y glissent et l'activité ne peut pas être tout à fait performante dès le début. Nous fournirons plus de conseils pour choisir les professionnels dans des rubriques futures. L'Etat pourrait accélérer la décantation en labellisant des bureaux d'études sur la base de normes professionnelles. On peut laisser le marché opérer la décantation. Cette dernière se fera, mais elle prendra du temps. L'Etat peut uniquement déterminer les critères pour choisir les entités publiques et privées qui vont œuvrer dans le secteur public. Mais cela est un débat qui ne manquera pas d'avoir lieu. Les entreprises publiques et les institutions non économiques ont souvent besoin d'accompagnement et de formation. Quelles sont les institutions les plus indiquées pour les appuyer ? Éviter Deux erreurs graves Au fur et à mesure que l'on prend conscience du retard managérial et qu'une offre de service se développe pour satisfaire des besoins réels d'amélioration, on ne peut qu'ériger un secteur où se côtoient des professionnels de talent et des amateurs qui peuvent, sans le savoir, causer plus de tort que de bien. On peut accélérer le processus de décantation ou laisser le marché le faire et cela prendra beaucoup de temps. Il ne faut surtout pas considérer que l'amélioration est une simple question de bonne volonté et d'abnégation. Il faut profiter des connaissances et des expériences acquises durant plus d'un demi-siècle au niveau international pour se hisser au rang des institutions performantes. Un manager d'une entreprise privée nationale me disait : «Le management, c'est simplement la volonté, plus la présence sur le terrain». Certes, ce sont deux caractéristiques désirables, mais un diagnostic approfondi de son entreprise révéla d'énormes carences stratégiques et opérationnelles, surtout au niveau organisationnel, qualité, innovation et suivi des marchés. Apparemment, la volonté et la présence sur terrain n'ont pas été suffisantes. La seconde erreur, de loin la plus importante, consiste à introduire des techniques managériales très avancées, alors que les fondamentaux sont inexistants. Cette erreur se trouve du côté de l'offre et de la demande. On voit souvent des bureaux de conseil ou des consultants individuels essayer de vendre des pratiques de grande valeur, mais qui n'ont aucune chance de donner des résultats dans notre contexte. Nous recenserons des propositions de pratiques du genre reengineering, qualité totale, budget base zéro ou lean management, etc. Certes, ce sont des pratiques qui ont des mérites et donné parfois d'excellents résultats ailleurs. Mais l'entreprise algérienne doit construire des bases solides d'abord : développer une vision simple, apprendre aux gens à travailler en équipe, améliorer les processus organisationnels, évaluer d'une manière simple et savoir améliorer les performances des personnes et des entités internes d'abord. Il est nécessaire d'abord d'avoir une base pour avancer plus rapidement par la suite. On ne peut combler le retard et éviter les erreurs d'autrui qu'en construisant les bases, les fondamentaux en premier. Il est inutile de chercher la dernière technique américaine, européenne ou asiatique et prétendre qu'elle pourra nous sauver. On a besoin des choses simples, mais efficaces d'abord. Lorsque les fondements seront solides, on construira alors des pratiques plus performantes et plus judicieuses.