Une question récurrente de la part des citoyens et des personnes au cours des séminaires et toutes sortes de rencontres concernant les économistes et le parcours de l'économie algérienne. La question est du genre : nous avons eu de tout temps de brillants économistes en Algérie, comment se fait-il que nous sommes loin de figurer parmi les pays émergents ? Nous sommes très mal positionnés dans la plupart des classements internationaux. Si on est d'accord avec les prémisses du raisonnement –ce qui est loin d'être évident- alors, on doit expliquer ce semblant de paradoxe. Nous avons quelques pistes très sérieuses à donner comme explication. La première est facile à comprendre. Les décideurs peuvent aisément passer outre les recommandations d'experts. On se souvient que durant les années quatre-vingt-dix les pouvoirs publics algériens avaient engagé le fameux bureau d'études américain Arthur D. Little pour les aider à concevoir une stratégie de développement du secteur de la PME/PMI. Ses conclusions ont été claires : on ne peut pas déployer un tissu de petites et moyennes entreprises efficaces sans un secteur privé dynamique, aidé par les pouvoirs publics, une stabilité du cadre macroéconomique et des crédits appropriés. On a fait fi de ces recommandations pour continuer à essayer de brider le secteur privé au profit d'entreprises publiques. Nous avions un bel exemple où les orientations scientifiques ont été formidablement ignorées par des décideurs qui façonnaient le paysage économique en fonction de préjugés idéologiques et non de connaissances scientifiques. D'autres pistes La seconde piste concerne les dissensions entre économistes eux-mêmes. On se souvient de la fameuse sentence de Milton Friedman : «Posez un problème à deux économistes et vous aurez trois réponses différentes». Les décideurs peuvent écouter le courant des économistes qui leur convient. En Algérie, nous avions des divergences fondamentales entre économistes pendant les quarante premières années de l'indépendance, surtout entre économistes libéraux et ceux d'inspiration marxiste. Alors, les décideurs peuvent choisir parmi les multitudes de recommandations celles qui sont proches de leurs idéologies ou intérêts. Moi qui suis d'inspiration «sociale-démocrate-managériale» mes idées ont toujours été rejetées, alors qu'elles fonctionnent merveilleusement bien en Chine, Corée du Sud, Malaisie, etc. Le cumul d'idées dissonantes a ses propres vertus. Mais il peut avoir ses côtés sombres : offrir aux décideurs l'alibi de prendre les mauvaises décisions. Actuellement, il y a beaucoup plus de resserrement des opinions entre les économistes nationaux. La vaste majorité veut une économie de marché sociale (beaucoup de transferts et de programmes sociaux) et non socialiste. Mais les pouvoirs publics apparemment patinent toujours dans la recherche d'une économie de marché tirée surtout par le secteur public avec un tissu de PME/PMI privées sous-traitant. Ce schéma est une erreur scientifique. Mais en ce qui nous concerne, actuellement nous avons des économistes d'accord pour la plupart, mais les pouvoirs publics semblent les ignorer. Mais la troisième piste est la plus sérieuse pour les pays en développement ou en transition à l'économie de marché. Elle consiste à bien cerner les rôles des économistes. De nos jours, les citoyens considèrent qu'un économiste est pluridisciplinaire. Il serait efficace dans tous les rouages de l'Etat. Les sciences sociales ont produit leurs propres segmentations. Un économiste est très utile pour travailler et recommander des politiques macroéconomiques : comment lutter contre le chômage, l'inflation, les déficits de balance de paiement, les déséquilibres budgétaires et le reste. Certains se sont spécialisés dans les analyses micro et méso économiques. Ils se situent à une échelle plus réduite et peuvent contribuer à rendre l'économie plus concurrentielle. Mais les préconisations économiques ne peuvent avoir d'effets que si les institutions sont prêtes, efficaces, coordonnées et admirablement bien gérées. Mais ces conditions sine qua non ne concernent pas l'activité des économistes. A chacun son rôle. On ne peut pas demander à un psychologue d'être sociologue, malgré qu'il maîtrise un minimum de connaissances dans ce domaine. On ne peut pas demander à un économiste de rendre les institutions efficaces. Ce n'est pas son rôle. Et pourtant ! Si les institutions ne fonctionnent pas correctement, les recommandations des économistes sont de peu d'utilité. Et c'est précisément dans ce domaine qu'intervient la responsabilité de l'institutionnaliste. Quels rôles pour l'institutionnaliste ? La fonction des institutionnalistes est de rendre les entités économiques et sociales d'un pays performantes. Ce sont des spécialistes dans les disciplines du management : organisation, stratégie, processus de contrôle, ressources humaines et le reste. Leur intervention est déterminante pour disposer d'institutions de qualité. Dès lors qu'un pays dispose de ministères, de départements, de communes, d'hôpitaux, d'universités, d'entreprises économiques publiques et privées, de douanes, etc. Superbement bien gérée, toute décision économique judicieuse produira instantanément des conséquences attendues au moindre coût. Mais lorsqu'un pays est composé d'institutions inopérantes, quelles que soient les politiques économiques préconisées par les hauts décideurs, l'échec est inévitable. Les institutionnalistes n'ont pas fait leur travail en amont à celui des économistes. Il faut se rendre à l'évidence, que durant la phase ou nous nous situons actuellement, nous avons besoin de beaucoup d'institutionnalistes et de peu d'économistes. Il faut tout d'abord dynamiser tout ce tissu d'institutions disloquées pour prétendre concevoir des politiques économiques qui marchent. Cette piste explique plus que toute autre pourquoi on ne peut qu'échouer même avec les plus brillants des économistes. Nos institutions sont incapables de développer un pays. Il faut les reconstruire en profondeur d'abord puis faire de saines politiques économiques qui donneraient alors des résultats probants. De mon point de vue, même les politiques économiques n'ont pas été bonnes. Les décideurs auraient choisi d'écouter les économistes qui préconisaient des solutions de facilité (dépenser pour moderniser les infrastructures et cela ira). Alors que les racines de notre impuissance résident dans les qualifications humaines et les pratiques managériales au sein de toutes les institutions. Mais, même au cas où les préconisations des économistes seraient correctes, les résultats globaux seraient décevants. Pourquoi ? Parce que la base n'est pas prête. On ne peut construire durablement et efficacement que lorsque les fondements sont solides. Nous pouvions avoir de brillants économistes, très bien écoutés par les pouvoirs publics, mais si notre réseau d'institutions économiques et social est impuissant, alors toute la machine se grippe. Un diagnostic approfondi de notre économie révélerait, sans l'ombre d'un doute, l'inefficacité de nos fondamentaux ; et qu'il faille s'occuper beaucoup plus de booster la performance de nos institutions que de concevoir des politiques macroéconomiques impossibles à matérialiser sur terrain.