Sirine, quinze ans, va au collège en portant un bandeau discret – il laisse voir les deux tiers de sa chevelure – et une jupe assez longue. Il n'en faut pas plus pour que le conseil de classe demande à la police de mesurer la largeur de son fichu – ce qu'un policier fera, en effet (!) – et lui interdise, en décembre 2012, d'assister aux cours. Sirine s'adresse alors, et dans la même tenue, à un autre collège, qui ne remarque rien de particulier et l'accueille sans aucun problème. Cet exemple illustre parfaitement ce qu'est l'islamophobie : non pas la réaction à une tenue ou une conduite hors norme et qui choque, mais la condamnation a priori d'une façon d'être ou de paraître. L'islamophobie n'est pas un jugement a posterori, c'est une attitude qui constitue son objet en objet choquant ou repoussant et de toute façon haïssable. Manifestation d'une haine qui préexiste à son objet, elle ne dit rien de cet objet, mais elle dit tout de ceux qu'il choque. Ceux-là sont des auteurs chrétiens qui, face à l'essor de la civilisation musulmane, dès le VIIe siècle, mettent tout en œuvre (réflexions, projections, caricatures) pour la discréditer. Comme l'expliquent, dans un ouvrage tout à fait remarquable, deux sociologues, Abellali Hajjat et Marwan Mohammed(1), le discours antimusulman de l'époque vise trois objectifs : «Empêcher les conversions à l'islam dans les pays conquis, légitimer l'action militaire contre les envahisseurs et justifier la ségrégation légale et la répression sociale des musulmans sujet des Princes chrétiens.» Idéologie «défensive», l'islamophobie est aussi «une idéologie agressive et conquérante constituant un sentiment de supériorité des Occidentaux à l'égard des musulmans et des Arabes.» Ce sentiment, la plupart des Occidentaux l'ont toujours : être musulman en Europe, aujourd'hui comme hier, c'est être perçu comme dangereux, ou trop différent pour être réellement assimilé, c'est vivre dans un climat général d'hostilité et subir toutes sortes d'humiliations et de rejets, notamment lors de la recherche d'un emploi ou d'un logement. D'un Houellebecque, pour qui l'islam est «la religion la plus con», à un Finkielkraut, qui approuve les insanités d'une Oriana Fallaci sur les musulmans – ils se reproduisent «comme des rats», écrit-elle – , la liste est longue des prétendus intellectuels européens qui profèrent sur les musulmans les jugements les plus stupides, les plus odieux. Bien peu nombreux, en France comme ailleurs, ceux qui portent sur l'islam un jugement éclairé et sur les musulmans un regard de sympathie. Nous ne sommes toujours pas sortis de la caverne où grouillent et glapissent les porte-parole autoproclamés d'une Europe frileuse, repliée sur elle-même, hostile à toute différence et prête à mordre ceux qui dénoncent la bêtise de ses prétendus intellectuels et autres académiciens. 1- Abellali Hajjatt et Marwan Mohammed Islamophobie, Comment les élites françaises fabriquent le «problème musulman». La Découverte 2016