En effet, il est à souligner que les factions extrémistes (Ançar Charia et Majliss choura el moujahdine) ont été obligées de composer pour garantir leur survie. Le chef du gouvernement d'union nationale, Fayez El Sarraj, a fort à faire pour incarner la réconciliation. Quatre faits ont marqué les trois premiers jours de Fayez El Sarraj en Libye, plus précisément à Tripoli. D'abord, il a rencontré le président du Conseil de la présidence, Abderrahmane Souihli, une personnalité originaire de Misrata. Ensuite, des hommes-grenouilles ont dynamité, au port de Misrata, deux navires bourrés d'armes destinées aux opposants de Haftar à Benghazi. Il y a eu également la fermeture de la chaîne Nabaa, très agressive contre le gouvernement de réconciliation. Enfin, les municipalités de neuf villes à l'ouest de Tripoli ont exprimé leur soutien à l'entrée du gouvernement d'El Sarraj dans la capitale. Lesquelles institutions sont formées essentiellement de personnalités proches des Frères musulmans, de Majliss choura el moujahdine et d'Ançar Charia. «Si l'on ajoute le boycott du gouvernement par les deux représentants de Zentane (Lassoued) et de l'Est (Katrani), cela veut dire qu'El Sarraj n'est soutenu que par les factions islamistes modérées de Fajr Libya, représentées essentiellement par Misrata et Tripoli. Les factions extrémistes (Ançar Charia et Majliss choura el moujahdine) ont été obligées de composer pour garantir leur survie. Sinon, elles risquent d'être anéanties comme leurs compères de Benghazi. El Sarraj n'incarne donc pas la réconciliation nationale, du moins pas pour le moment», explique le politologue Ezeddine Aguil. Le chef du gouvernement de réconciliation libyenne, Fayez El Sarraj, a certes choisi comme «abri» la base navale d'Abou Sita, sous le contrôle de la Marine, près de la capitale. Mais la région est sous l'autorité des groupes armés de Fajr Libya qui «n'ont même pas l'appellation d'armée nationale», selon le politologue Aguil. Pour le moment, l'attentisme est de mise. Les intentions de menaces de sanctions internationales contre le président du Conseil national général, Nouri Bousahmine, le président de la Chambre des députés, Salah Aguila, et le président du gouvernement de Fajr Libya, Khalifa Ghouayl, n'ont pas poussé les Libyens à se rapprocher davantage. Les positions des uns et des autres ne sont certes pas similaires. Salah Aguila est fort du soutien de l'Egypte et de son rôle incontournable de passerelle selon l'accord de Skhirat. Lequel rôle a été certes contourné par El Sarraj, mais toujours défendu par l'Egypte et la France. Par contre, les positions de Bousahmine et Ghouayl sont faibles parce qu'ils n'ont pas de véritable position sur l'échiquier de la transition. Divergences locales Par ailleurs, il y a des craintes à Tripoli concernant les forces armées et sécuritaires nécessaires pour assurer la protection du gouvernement. L'opinion publique ne veut pas que le gouvernement de réconciliation s'appuie sur le potentiel dissuasif dirigé par Abderraouf Kara, en plus de quelques milices de Misrata favorables à l'accord politique comme les bataillons El Halbouss et El Mahjoub, ainsi que ceux des régions proches de Tripoli. «Nous ne voulons pas que le gouvernement El Sarraj soit protégé par les milices de la Moukatila, dirigée par Belhaj, l'ex-lieutenant de Ben Laden», a confié Jamel, un Tripolitain, au correspondant de Dune Voices. «Le gouvernement devra commencer immédiatement par réhabiliter et intégrer les milices et par rappeler les anciens militaires afin de constituer une armée et des forces sécuritaires professionnelles», poursuit le Tripolitain. Ce qui est à l'ordre du jour puisqu'un projet est prévu par l'ONU pour former ces troupes dans le Sud tunisien par des experts italiens, britanniques, français et allemands. Mais, pour le moment, le risque persiste que Tripoli devienne la scène d'altercations, voire d'affrontements armés entre les forces pro-réconciliation et celles qui s'y opposent comme le Groupe islamique combattant et certains bataillons de Misrata fidèles au gouvernement du salut. L'OTAN (ou du moins certains de ses membres) interviendra alors pour écraser ces groupes en effectuant des bombardements aériens. Plusieurs fois en effet, l'OTAN avait assuré qu'elle se mettrait au service du chef de gouvernement nommé dès qu'il prendra ses fonctions. A l'échelle internationale, le ministre algérien de l'Intérieur, Noureddine Bedoui, a rencontré hier au Caire le président égyptien, Abdelfattah Al Sissi, dans le cadre des concertations qui se poursuivent entre les pays du voisinage de la Libye afin d'aider à l'installation d'un gouvernement de réconciliation nationale. Tout le monde se dit d'accord sur le fait qu'une forte autorité centrale à Tripoli constitue une étape importante pour contrer le risque terroriste en provenance de ce pays. Mais «l'approche des uns et des autres n'est pas similaire», selon le politologue Ezeddine Aguil. «L'Egypte soutient le général Haftar et une approche considérant les groupes armés de Daech, Ançar Charia et Majliss choura el moujahdine comme étant des ennemis de la stabilité dans la région. Haftar applique cette politique à Benghazi et à toute la bande est de Libye qui constitue la profondeur stratégique de l'Egypte. C'est dans la lignée de la politique de resserrement de l'étau contre les Frères musulmans, prônée par le Caire», lance le politologue, qui estime que cette approche n'est pas partagée par l'Algérie ni même l'ONU. «A l'Ouest, notamment à Tripoli et Misrata, la position politique prépondérante dans les institutions est plutôt l'association avec Ançar Charia et Majliss choura el moujahdine, voire une certaine tolérance envers Daech (comme c'est le cas à Sabratha et Derna). Cela se reflète dans le soutien apporté à El Sarraj par des municipalités comme Sabratha (Ansar Chariaâ). L'Algérie et la Tunisie ont des frontières avec cette partie ouest de la Libye. L'ONU veut réunir un consensus dans cette région contre Daech», ajoute le politologue. Les horizons ne sont pas encore clairs en Libye.