Une belle marque de sympathie à l'endroit du grand maître du chaâbi, Amar Lachab. Initiative fertilisante pour la mémoire collective en phase de réappropriation de ses repères que celle accomplie par l'Association des amis de la Rampe Louni Arezki (ex- Rampe Valée) qui a saisi le temps au vol pour créer un moment de bonheur à travers de chaleureuses retrouvailles avec une étoile de la chanson chaâbie, l'enfant prodige de La Casbah qui vit loin du pays, à Paris, depuis plus de 40 années. C'est au palais EI-Menzeh où, visiblement ravi d'être en ce lieu symbolique d'histoire et de culture, en compagnie de son fidèle ami de toujours, Abdelkader Bendameche, l'écrivain musicologue, véritable arpenteur de la mémoire, que Amar Lachab a connu l'émouvante surprise de retrouver des amis d'enfance de son quartier natal, Bir Djebbah, au cœur de La Casbah, réputé pour avoir couvé en son sein une génération d'artistes célèbres, à l'instar des deux monuments de légende, les Cheikhs Hadj M'hamed El-Anka et Hadj M'Rizek. Dans une ambiance de ferveur et de joie et dans une foule de souvenirs remémorés en la circonstance, l'assistance composée à dessein de trois générations (20-30-40 et au-delà de 60 ans), a ainsi effectué une véritable traversée de la mémoire. La profusion des évocations, des souvenirs, des pensées ont, dans l'euphorie du moment, impulsé un dialogue inter- générationnel très motivé mais émouvant, car, faut-il l'avouer et le préciser, il est quasi inhabituel et inexistant dans notre société avec la jeunesse. C'est dans une fresque de fragments de vie passée en revue par une mémoire collective que des pans précieux de 1'histoire d'Alger et de « sa » Casbah ont émergé un instant à l'émerveillement de l'assistance et essentiellement des jeunes. Dans la conviviabilité des retrouvailles, l'évocation d'une trame mémorielle de souvenirs et d'anecdotes a instauré un débat très riche autour de la vie d'antan et de son intensité culturelle à Alger et sa médina. Ce fut l'intervention de Amar Lachab tant attendue d'ailleurs qui a agréablement surpris un auditoire très attentif à une remarquable rétrospective savamment soutenue par ce dernier. Au souvenir des artistes célèbres qu'il a connus, il a eu une pensée particulière et affectueuse à l'endroit de Sid-Ahmed Serri dont il avait souhaité la présence. Il a tenu à rappeler l'acte de résurrection du souvenir de Cheikh Hadj M'Rizek accompli en septembre dernier par l'Association des amis de la Rampe Louni Arezki (ex-Rampe Valée) avec la contribution de l'Office de gestion des biens culturels protégés (OGEBC) pour soutenir un vibrant témoignage à sa pensée en ces termes : « Cheikh Hadj M'Rizek, Allah Irahmou, est d'une dimension artistique inégalée par son talent et son style exceptionnels uniques dans le genre musical hawzi. » Par ailleurs, tout en exhortant à la persévérance dans l'action pour la réappropriation de la mémoire et de ses repères, il a émis le souhait que l'on renoue avece la culture citadine dans sa matrice originelle qu'est la Casbah d'Alger pour perpétuer son rayonnemment. A la satisfaction de toute l'assistance, le relais du débat a été repris par Abdelkader Bendamache qui a exploité l'opportunité d'une question formulée sur la récente découverte d'un disque des années 40 d'un temple de l'école de Tlemcen de musique andalouse, le regretté Cheikh Larbi Bensari qui a interprété une chanson en langue kabyle. En effet, la réponse à la question a fait l'objet d'un développement studieux qui a rappelé l'existence de liens séculaires, communs et particuliers aux deux villes, Tlemcen et Béjaïa en matière d'ordre historique, culturel et sociologique. Ainsi, il a été précisé par l' écrivain-chercheur que la chanson a effectivement été interprétée en inédit au cours de cette période à Béjaïa par Cheikh Larbi Bensari qui a animé une fête familiale à l'invitation de son ami intime, le grand maître Sadek Bedjaoui. C'est à travers cette genèse d'histoire que l'on retrouve l'origine des liens traditionnels des villes de Tlemcen et Béjaïa qui, toutes deux, ont été les royaumes Zianide et Hamadite. L'interpénétration et l'affermissement de ces liens sociologiques au sein des populations trouvent aussi leur fondement dans le segment culturel de la citadinité. Dans ce contexte, nous avions appris que Cheikh Larbi Bensari était doué pour la pratique des langues étrangères dans ses tours de chant. Invité en 1930 à Istanbul dans le cadre d'une manifestation culturelle, il a interprété avec brio une chanson en langue turque. Juste après le récit de cette anecdote par Abdelkader Bendameche, le refrain de la chanson a été repris dans un écho de nostalgie par Hadj Zoubir, une référence mémorielle de La Casbah, suivi en sourdine par Amar Lachab qui se souvient très bien des couplets de la chanson. A son souvenir, les Kaskadjis se remémoreront le chant des Louveteaux du Mouvement Scout algérien, levain du courant nationaliste de l'époque : « Akou Cham Sara Sakara You Midi Eyoukbabadji Eyouk Meyouk Babadji Eyouk Meyouk Babadji Eyouk » Pour en comprendre la structure et le sens de ce couplet, le recours à la traduction nous fera connaître la similitude du mot Babadji qui est aussi un nom patronymique d'une grande famille d'Algérie et, comble de l'ironie, celle de mes propres neveux. Ce refrain intégralement conservé dans la vivacité du souvenir a été en la circonstance célébré avec une symbolique d'hymne à la mémoire. Heureux après une série de photos souvenir prises en groupe dans l'enceinte d'un patrimoine séculaire du XVIIe et du début du XXe siècles, le mausolée de Sidi Abderrahmane et la célèbre Medersa d'Alger, Amar Lachab a tenu à nous exprimer le bonheur du moment intensément vécu, immortalisé par l'image sur des lieux d'histoire de culture et de mémoire.