«C'est un phénomène universel ! Cette série a un succès qui transcende les cultures et les langues. Probablement parce que malgré son côté fantastique avec la présence de dragons, de magie, de loups géants, de médiums télépathes, de zombies et autres, cela reste inspiré d'événements historiques réels et connus (le mur d'Adrien, la guerre des roses, les conquêtes de César et de l'empire romain, l'Eglise catholique et l'Inquisition, Genkhis Khan et les massacres mongols)», explique Walid, 31 ans, un spectateur fidèle de la saga Game of thrones. Depuis son lancement en 2011, cette série américaine, adaptée à la saga culte de l'écrivain George R. R. Martin, a réussi à passionner les foules, notamment algérienne. Selon Abderrahim, un fan algérien, «le côté histoire, la cause féministe et les intrigues du pouvoir» sont les principales raisons qui passionnent les spectateurs, notamment algériens. «Histoire, car tout ce qui renvoie à la mythologie intéresse. Féminisme, car on y voit bien une femme prendre les choses en main alors qu'il existe jusqu'à nos jours des discours sexistes. Intrigues du pouvoir, car ça touche aux jeux de coulisses qui s'exercent avant d'atteindre le but recherché, à savoir régner», explique-t-il. Farouk, 24 ans, partage le même avis et parle d'«intelligence» : «En plus de l'histoire ancienne, la guerre et le pouvoir, l'intelligence des personnages de la série m'a beaucoup interpellé. On voit les femmes qui utilisent leur corps pour obtenir ce qu'elles veulent et de quoi l'homme ou la femme sont capables de faire pour régner sur le trône.» Plus de realisme que de fantasy Pour Walid, Game of thrones ou Le trône de fer comme est appelée la version française, est un excellent mélange de «réalisme psychologique et géopolitique». Il explique : «Psychologique parce que tous les personnages sont assez ambigus, personne n'est complètement bon ou mauvais, ils ont tous leur zone d'ombre et de légitimité. Par ailleurs, on retrouve le côté réalisme géopolitique dans les guerres entre Etats, les fanatismes et les guerres de religion, le poids de l'argent et de la dette dans les politiques engagées. Tout ça dans un univers fantastique et imaginaire.» Pour sa part, Jaâfar, un autre spectateur de la série témoigne : «Même si je ne suis pas adepte de science-fiction, j'ai retrouvé plus de réalisme dans cette série que dans une histoire dite vraie. Cette série est l'effet miroir de la réalité humaine depuis la nuit des temps jusqu'à nos jours… Ce qui préoccupe l'homme dans le sens humain. La puissance, la gloire, le pouvoir, le sexe… et cette envie de perdurer et de lutter indirectement contre son extermination.» En effet, l'écrivain de la saga, George R. R. Martin, a, à plusieurs reprises, été interpellé sur les raisons qui l'ont poussé à écrire un livre aussi violent. Sa réponse : l'histoire des hommes qui l'inspirait. Les intrigues de pouvoir «A mon avis, les jeux de pouvoir sont ce qui fascine le plus les adeptes de Game of thrones. Chose qu'on peut bien calquer sur ce qui se passe dans notre pays», lance Kheireddine, 24 ans. «Cet excellent travail nous met face à la politique dénuée d'artifices. La vraie face de la politique. Quand on voyage dans les pages de l'histoire, on remarque que la lutte pour le trône et le pouvoir a toujours été sanguinaire, où on peut même assassiner son frère et trahir ses alliés afin d'arriver à ses fins, même si on doit marcher sur les cadavres de sa propre famille», soutient Jaâfar. Feriel, quant à elle, va plus loin et explique : «Derrière ces scènes surréalistes, Game of Thrones puise avec génie dans les profondeurs de la realpolitik telle que nous l'observons aujourd'hui dans le monde réel. Les tensions Nord-Sud entre les Lannister et les Stark ont de vieux airs de guerre froide.» Pour elle, «les trahisons fratricides et les alliances obscures sont comme dans la réalité, le prix à payer pour accéder au trône et/ou maintenir la hiérarchie et donc le statu quo. Dans notre monde, les liaisons dangereuses avec les puissants ont toujours fait partie des tribulations diplomatiques nécessaires à la survie politique de chaque région, de chaque maison et de chaque clan. ‘‘La bonne gouvernance'' est aussi celle des ‘‘concessions'', comme on le répète souvent dans la série», poursuit-elle. Des scènes intimes Par ailleurs, Walid affirme que «le fait qu'il y ait beaucoup de sexe et de nudité joue certainement un rôle. Cela aussi contribue au fait que la génération actuelle d'adolescents et de jeunes adultes soit à la fois plus crue et plus trash. Elle ne veut plus d'histoires manichéennes et simplistes où les méchants sont laids et les gentils tout beaux et que le bien l'emporte toujours.» Pour mettre cette cause dans le contexte algérien, Walid parle de la production télévisée et cinématographique nationale qui est, selon lui, «très loin de cette approche». «Malheureusement, on en est encore aux scénarios simplistes, aux histoires de couple et de famille, aux répliques qui sonnent faux et creux», se désole-t-il. Ajoutant : «La classe dirigeante n'a pas permis aux artistes locaux de vraiment s'exprimer par les canaux officiels, la créativité est limitée et ne colle pas par conséquent aux attentes et la curiosité des jeunes Algériens qui évoluent et restent connectés au monde extérieur.» Des personnages hors du commun Selon les fans de Trône de fer, la présence décalée de personnages qu'on ne trouve pas dans les autres séries est une bonne raison pour suivre ce programme sans s'en lasser. «Ce feuilleton ne s'est pas penché sur la bonté des personnages ou leurs qualités. C'est-à-dire qu'il n'y a pas de héros, malgré que Jon Snow pourrait apparaître comme tel. La gloire a, au final, toujours été du côté de celui qui s'est préparé quelles que soient les qualités morales des personnages, contrairement aux autres feuilletons qui accouchent du héros idéal et parfait qui n'existe pas dans la réalité des luttes pour le pouvoir», explique Jaâfar. Selon Feriel, les femmes de Game of thrones, «réduites à leur rôle de mère et considérées comme des citoyennes de seconde zone dans la vaste majorité des royaumes jouent un rôle déterminant dans les maisons royales, comme ce fut le cas dans les grandes cours de L'Histoire». Ces dernières «tissent leur propre réseau d'influence, pèsent sur les grandes décisions et vont même jusqu'à renverser des souverains. ‘‘Derrière chaque grand homme se cache une femme''. Ce dicton s'applique aussi bien dans Game of Thrones que dans la vie politique réelle», explique la spectatrice. Dalila est intéressée par la vision féministe des personnages. Elle est marquée par «Khaleessi, la mère des dragons. Son côté mythologique, la reconquête de son trône et sa transformation d'une personne très fragile à une autre prête à regagner le pouvoir. Idem pour Aria Stark». La touche hollywoodienne «Ce feuilleton regorge de génie, du générique du début jusqu'à la scène finale. A chaque épisode le décor est bien adapté, les costumes et les paysages sont envoûtants, tous ces détails accrocheurs vous poussent à regarder encore sans jamais décrocher», souligne Jaâfar. Walid le rejoint dans cette analyse : «Cette série a répondu à un désir de voir des œuvres qui font rêver par le décor fantastique, mais qui soient réalistes dans le fond et dans la psychologie des personnages. J'imagine que la génération dont on fait partie a cette ambiguïté d'être à la fois cynique et désabusée par le monde, l'économie, la politique en général, mais qui a gardé en parallèle une âme d'enfant qui veut échapper à la réalité et rêver de super héros, de monstres, de magie et d'univers où tout est possible.»