Il est bien difficile de parler de violence aveugle en Irak même si les Irakiens meurent par dizaines, chaque jour et en tout lieu du territoire irakien. Elle reste ciblée, visant aussi bien les troupes étrangères sans cesse harcelées, mais elle a aussi un caractère ethnique de plus en plus remarqué. Il n'est pas faux de dire que la communauté chiite désormais aux portes du pouvoir est particulièrement ciblée. Et hier, elle n'a même pas eu la possibilité d'organiser des funérailles collectives pour les victimes d'un nouveau massacre perpétré jeudi. Le projet a été annulé hier après un tir d'obus qui fait craindre une nouvelle attaque. Les proches des victimes de l'attentat de Mossoul, l'un des plus meurtriers contre la communauté chiite majoritaire qui a remporté les élections, ont annulé les funérailles collectives en raison d'un tir d'obus sur le lieu de l'attaque vendredi, qui leur fait craindre un nouvel attentat. L'attaque, qui a tué 47 Irakiens et blessé 81 autres, a été commise par un kamikaze entré à pied dans une salle proche de la mosquée chiite Sadraïn où se tenaient les funérailles d'un chef du courant chiite de Moqtada Sadr dans la ville à majorité sunnite de Mossoul, à 380 km au nord de Baghdad. Les autorités irakiennes ont accusé à plusieurs reprises les groupes armés extrémistes sunnites, notamment celui du Jordanien Abou Moussab Al Zarqaoui, chef de la section irakienne d'Al Qaîda, de s'en prendre aux chiites dans le but de fomenter une guerre confessionnelle. Le groupe de Zarqaoui a d'ailleurs revendiqué, dans un communiqué sur internet, une attaque qui a coûté jeudi la vie à trois policiers irakiens, dont le chef d'un poste de police près de la Zone verte, périmètre sécurisé à Baghdad abritant les institutions provisoires irakiennes et l'ambassade des Etats-Unis. La violence dans le reste de l'Irak a tué jeudi huit autres Irakiens. L'escalade de la violence est survenue alors qu'un dignitaire chiite annonçait un accord préliminaire avec les Kurdes sur la formation de l'exécutif, qui devrait être conclu bientôt. Adnane Ali, conseiller de Ibrahim Jaafari, candidat de l'Alliance unifiée irakienne au poste de Premier ministre et chef du parti islamiste Dawa, a indiqué que les deux parties avaient rédigé un « accord de principe » de trois pages qui « sera probablement signé dimanche ». Selon lui, un consensus a été réalisé sur le choix de M. Jaafari comme Premier ministre et du dirigeant kurde Jalal Talabani, chef de l'Union patriotique du Kurdistan (UPK) comme président, fonction davantage honorifique. Fouad Kamal, responsable de l'UPK, a espéré parvenir dans « deux ou trois jours » à un accord avec les chiites. « On discutera de la distribution des postes ministériels, notamment aux sunnites pour garantir leur participation au gouvernement », a-t-il ajouté, en référence à cette communauté qui s'est largement abstenue aux élections. Selon Fouad Maassoum, membre du bureau politique de l'UPK, les pourparlers ont porté sur le problème de Kirkouk, ville multiethnique à 255 km au nord de Baghdad, dont les Kurdes revendiquent le rattachement à leur région autonome. Par ailleurs, un groupe international d'experts en santé publique a appelé à une « enquête indépendante » pour déterminer le nombre d'Irakiens décédés depuis le début de l'occupation de leur pays en mars 2003 par l'armée américaine et ses alliés. Ils rappellent qu'une étude publiée en octobre par la revue médicale britannique Lancet avait estimé à 98 000 le nombre de décès liés à « l'invasion de 2003 ». L'on parlait des morts américains, mais jamais ou rarement des victimes civiles irakiennes, sans que l'on connaisse avec exactitude les raisons de ce black-out.