Des consultations, sur fond de violences, débutent aujourd'hui sur le futur Exécutif intérimaire. La situation demeure explosive en Irak où plusieurs attaques et explosions ont marqué la journée d'hier. Une autre journée où le sang irakien à encore coulé. Falloujah, où une nouvelle trêve a été conclue dimanche entre les deux parties et Najaf, où est solidement retranché Moqtada Sadr, continuent de vivre sur un volcan, alors qu'hier de nombreux accrochages ont eu lieu un peu partout, au nord, au sud et au centre de l'Irak, rappelant que les forces de la coalition, si elles ne sont pas confrontées à une opposition organisée, font face cependant à des groupes déterminés, prêts à se battre jusqu'au bout contre les forces d'occupation américaines et étrangères. La révolte, partie le 4 avril de Falloujah, s'est répandue dans l'ensemble du territoire irakien et touche aujourd'hui une majorité de provinces, où il ne se passe plus de jour sans que ne soient signalés des accrochages entre les résistants irakiens (les «rebelles» selon les communiqués du commandement militaire américain) et les forces de la coalition. Au moins deux soldats américains ont été tués hier et huit blessés lors d'une attaque à Kerbala où quatre Humvee (blindés américains) ont été détruits. Selon un policier irakien témoin de l'explosion, «il y avait trois soldats américains dans chaque véhicule. Ils ont été tués ou blessés». Les autorités militaires américaines n'avaient pas, hier, confirmé, un officier affirmant ne pas disposer «d'informations à ce sujet». A Falloujah, où la trêve reste fragile, huit guérilleros ont été tués hier et quatre soldats américains blessés après un accrochage dans les environs de la ville assiégée. Autre accrochage à Diwaniyah au cours duquel les troupes espagnoles ont tué cinq résistants irakiens. Face à la montée des périls, notamment à Najaf et Kerbala, les autorités militaires américaines ont décidé de reprendre le contrôle des provinces de Najaf et d'El Qadissiya jusqu'alors dépendantes du commandement militaire polonais. De fait, l'administration Bush envisage une offensive majeure contre Najaf et Falloujah pour les reprendre respectivement aux miliciens chiites de l'Armée du Mehdi et aux guérilleros sunnites. Ne se tenant pas pour battu, Moqtada Sadr a averti hier que les Américains vivront «l'enfer» s'il est éliminé, indiquant au quotidien italien La Républica: «Les Américains doivent savoir que s'il devait m'arriver quelque chose, le peuple déchaînerait le feu de l'enfer contre eux», soulignant «les opinions publiques des pays de la coalition feraient bien de convaincre leurs gouvernements de retirer leurs troupes. Je suis profondément indigné de voir que des peuples qui se disent civilisés, demeurent insensibles face au fleuve de sang qui coule en Irak». A propos de sa menace d'utiliser des kamikazes, le chef radical chiite confirme : «C'est vrai, mais l'idée ne vient pas de moi. De très nombreux hommes et femmes sont venus m'offrir leur vie pour défaire les Américains et leurs alliés. Je les ai remerciés et leur ai dit que j'y penserai. Mais je n'ai pas encore décidé si et quand je les utiliserai» soulignant «si les choses empirent, je n'hésiterai pas un instant». D'autre part, sous prétexte de «visiter» leurs troupes, plusieurs chefs d'Etat et de gouvernement, éprouvent le besoin d'aller en Irak. Ainsi, dimanche, le Premier ministre australien, John Howard, et le président bulgare, Gueorgui Parvanov étaient-ils hôtes de ce pays meurtri. Toutefois, cela a failli tourner au drame pour le président Parvanov dont le cortège a essuyé des coups de feu suscitant des tirs nourris entre les assaillants et l'escorte militaire bulgare. C'est sur ce fond de violence et de morts que débutent aujourd'hui des consultations en vue de baliser le terrain pour le proche avenir de l'Irak, avec en point de mire l'échéance du 30 juin. Les discussions vont s'organiser autour des propositions de l'émissaire spécial de l'ONU, Lakhdar Brahimi, lequel semble avoir maintenant une vision assez claire de la situation politique en Irak, à l'aune de laquelle il a pu dire, avec une certaine prudence toutefois, qu'il était possible de finaliser les choses avant le 30 juin, de même qu'il est d'avis de ne pas reconduire l'actuel Conseil transitoire du gouvernement irakien, des hommes sur lesquels s'est appuyé la coalition durant sa première année d'occupation de l'Irak. Avis en fait partagé par Washington qui est d'accord pour écarter le Conseil transitoire, lequel a été incapable de combler le vide d'autorité laissé par la chute du régime baassiste. De fait, Ahmed Chalabi, l'Irakien de service, l'homme du Pentagone, auquel Paul Bremer, l'administrateur en chef américain, avait confié la «débaassification» de l'administration irakienne, a totalement déstabilisé le fonctionnement du pays en licenciant des dizaines de milliers de cadres et de fonctionnaires compétents paralysant de fait l'Irak, ce qui amena le pro-consul américain, à ordonner une halte dans la «débaassification», de même que la réintégration de certains de ces cadres dont l'Irak a aujourd'hui le plus grand besoin. Théoriquement le 30 juin prochain, les Etats-Unis transféreront la souveraineté aux Irakiens, mais le doute subsiste dans l'esprit de nombre de responsables américains qui ne semblent pas s'accorder sur le «degré» de souveraineté qui doit être accordé aux Irakiens. Ainsi, le secrétaire d'Etat américain, Colin Powell, lors d'une audience au Congrès, a parlé pour la première fois d'une «souveraineté limitée» sans s'expliquer davantage. Selon les dires du numéro trois du département d'Etat, Marc Grossman, les assemblées intérimaires prônées par M.Brahimi «n'auraient pas le pouvoir de légiférer», indiquant «nous ne pensons pas que la période entre juillet et la fin décembre (2005) doit être consacrée à adopter des lois». Cette position en demi-teinte est prise à contrepied par le porte-parole du département d'Etat, Richard Boucher, selon lequel, les Irakiens «vont diriger l'Irak avec des ministères aux pleins pouvoirs et ils gouverneront l'Irak au quotidien (...). Ce gouvernement aura une souveraineté pour l'Irak», insiste-t-il. Alors qui dit vrai dans cette cacophonie américaine? Déjà, les Américains ne semblent pas d'accord entre eux sur le sort futur de l'Irak, que dire alors des Irakiens eux-mêmes, dont une année d'occupation américaine a surtout remis à l'ordre du jour les divisions ethniques et tribales. Tout cela promet et n'est pas de bon augure pour un pays qui paye aujourd'hui le prix fort des errances de ses dirigeants.