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«Notre réseau draine un million et demi d'habitants de la région est d'Alger»
Publié dans El Watan le 10 - 07 - 2016

Vous avez déclaré que l'insuffisance coronarienne est l'une des pathologies qui vous inquiète le plus et c'est une sérieuse menace sur la santé des Algériens. Pourquoi ?
L'insuffisance coronarienne est une pathologie grave due à un défaut d'apport en oxygène du myocarde. Elle peut être aiguë ou chronique. Elle est due le plus souvent à une affection athéromateuse des artères coronaires. Cette affection nous inquiète très sérieusement par sa croissance rapide et constante. Toutes les unités de soins intensifs cardiologiques algériennes sont envahies par cette pathologie qu'on disait autrefois n'appartenir qu'aux pays développés. Une véritable hécatombe nous menace en Algérie.
L'insuffisance coronarienne aiguë ou syndrome coronarien aigu, dont la manifestation la plus commune est représentée par l'infarctus du myocarde, survient le plus souvent à la faveur de l'occlusion thrombotique d'une artère coronaire épicardique. Dans des cas plus rares, il peut être dû à un spasme artériel prolongé. Il existe dans tous les cas une nécrose ischémique d'une partie du myocarde et à ce titre une amputation du potentiel contractile du ventricule gauche. Il s'agit d'une affection fréquente de pronostic grave, dépendant aussi bien à la phase aiguë qu'à distance, de l'importance de la destruction myocardique, de la diffusion des lésions artérielles coronaires et de la stabilité électrique du cœur.
Quels sont les symptômes de la maladie coronarienne ?
Les symptômes sont différents en fonction du type d'insuffisance coronarienne. Dans le cas du syndrome coronarien aigu dit «avec surélévation du segment ST» qui donne l'infarctus du myocarde, les données suivantes sont à retenir : dans 40% des cas, l'infarctus du myocarde est inaugural, il représente la première manifestation clinique de l'insuffisance coronarienne. Dans 60% des cas au contraire, cet infarctus survient chez un coronarien connu.
Le tableau clinique est dominé par la douleur. Elle est présente dans 95% des cas et a les caractères suivants :
– apparition brutale de siège rétrosternal en pleine poitrine possédant des irradiations très riches au niveau des deux membres supérieurs, du cou et des mâchoires, parfois au niveau de l'épigastre. Cette douleur est très intense, constrictive, résistante à la trinitrine, elle ne cède qu'aux morphiniques, et dure plus de 30 minutes et peut aller jusqu'à plusieurs heures.
Il existe des signes accompagnateurs :
-vomissements, hoquet dans les formes postérieures.
-Sueurs profuses.
-Sensation de mort imminente.
Dans le cas du syndrome coronarien chronique ou angor ou angine de poitrine :
la douleur est ressentie le plus souvent pendant l'effort, lors d'une marche rapide, en côte ou contre le vent ou par temps froid.
– Lors d'une émotion.
La douleur est essentiellement ressentie dans la poitrine, derrière le sternum, plus rarement au niveau de la mâchoire, des épaules et des membres supérieurs (le plus souvent à gauche) ou encore au niveau de l'estomac.
Que faut-il faire dans l'immédiat lorsqu'on ressent ces symptômes ?
En cas de douleur thoracique aiguë, il faut appeler le SAMU (problématique en Algérie car le médecin de famille n'existe pas, le SAMU ne se déplaçant qu'après avis médical).
– Se faire accompagner sans fournir d'efforts directement vers un centre médical muni d'un électrocardiogramme. Il est, à mon sens, préférable d'aller directement vers un centre de cardiologie pour ne pas perdre de temps ! Un électrocardiogramme sera réalisé et le diagnostic posé.
En cas d'infarctus du myocarde, passé 6 heures après le début de la douleur, il n'y a plus rien à faire ! Le myocarde est définitivement détruit.
Outre les facteurs de risque déjà suscités (HTA, tabagisme, obésité, etc.), de nouvelles données mettent en évidence en particulier un lien plus fort entre la pollution de l'air et les maladies cardio-vasculaires, comme les accidents vasculaires cérébraux (AVC) et les cardiopathies ischémiques ?
Selon l'Organisation mondiale de la santé, la pollution de l'air est devenue, aujourd'hui, le principal risque environnemental pour la santé dans le monde, tuant plus de 7 millions de personnes chaque année (WHO reports 2012).
Cela vient s'ajouter aux maladies respiratoires (infections respiratoires aiguës et bronchopneumopathies chroniques obstructives).
Comment se fait la prise en charge de cette affection qui est l'urgence type en cardiologie ?
En cas d'infarctus du myocarde, il faut ouvrir l'artère immédiatement après l'arrivée du patient pour irriguer de nouveau le muscle souffrant et l'empêcher de se nécroser. Pour cela nous avons deux méthodes :
la première est à la portée de tout médecin généraliste, c'est la thrombolyse. Elle consiste à injecter un médicament thrombolytique par voie intra-veineuse qui aura pour but de lyser le caillot sanguin obstruant l'artère coronaire. C'est une méthode simple qui sauve très souvent beaucoup de malades. Malheureusement, sa pratique ne s'est pas généralisée en Algérie vers la médecine d'urgence, en particulier vers la pratique du médecin généraliste. De nombreux efforts se font actuellement pour la banaliser dans notre pays, sachant que seulement 25% des patients sont thrombolysés en Algérie.
La deuxième est l'angioplastie primaire. Le patient est orienté dès le diagnostic fait vers le centre de cathétérisme cardiaque le plus proche, à condition que le délai de transfert n'excède pas les 120 minutes. Il bénéficiera d'une coronarographie et si nécessaire d'un geste d'angioplastie avec le plus souvent la mise en place d'une endoprothèse (stent).
Cette deuxième méthode est la plus efficace, cependant elle n'est pas la priorité en Algérie du fait de l'absence de phase pré-hospitalière et de la faiblesse encore des structures hospitalières en matière de prise en charge de l'urgence coronarienne (salles d'angioplastie en nombre insuffisant…).
Vous venez de réaliser une étude régionale concernant les maladies coronariennes en Algérie, pouvez-vous nous en parler ?
En raison de la gravité de cette affection et de l'ampleur qu'elle prend en Algérie, nous nous sommes organisés à l'est d'Alger en réseau autour du service de cardiologie du CHU d'Hussein Dey. Le réseau est actuellement une nécessité absolue en raison de l'incidence élevée du syndrome coronarien aigu en Algérie et du taux de mortalité important.
L'organisation sanitaire en réseaux de soins améliore considérablement la prise en charge du patient et l'efficacité thérapeutique. La région de l'est d'Alger souffre considérablement de cette redoutable maladie et a un besoin crucial d'une réorganisation judicieuse des soins de haut niveau. Notre réseau draine 1,5 million d'habitants comprenant plusieurs secteurs sanitaires ( Kouba, Aïn Taya, Zemirli, Rouiba, Boumerdès, Meftah, Baraki, Hussein Dey, Thénia…).
Le réseau a un rôle de prise en charge de tous les malades relevant de l'urgence coronarienne en vue d'une prise en charge urgente dans le temps, adéquate dans l'action, à savoir l'angioplastie primaire ou thrombolyse. Il a un rôle de formation médicale continue sur les urgences cardiovasculaires et en particulier le syndrome coronarien aigu, d'information de la population sur les facteurs de risque cardiovasculaires, sur la douleur thoracique et la nécessité de consulter précocement vers l'une des unités d'urgence du réseau la plus proche. Il a aussi un rôle de recherche en pathologie coronarienne chez le sujet algérien. Deux travaux de recherche ont déjà été effectués par ce réseau avec la participation active avec plus de 50% de patients à l'étude de recherche internationale Atlantic et la création d'un registre du réseau se dénommant «Record» : registre des syndromes coronariens du CHU d'Hussein Dey.
En termes d'organisations des soins, le syndrome coronarien aigu arrive au niveau des différents centres d'urgence de la périphérie en fonction du délai d'arrivée, nous distinguons deux possibilités si le patient arrive tôt :
– soit une évacuation d'emblée vers le centre du réseau : service de cardiologie du CHU d'Hussein Dey pour une thrombolyse ou une angioplastie primaire.
– Soit la réalisation d'une thrombolyse in-situ. Les médecins généralistes sont actuellement formés sur la thrombolyse par le centre du réseau par le biais du ministère de la Santé.
A l'arrivée au centre du réseau, le patient est immédiatement acheminé vers une unité de soins pour coronariens pour une angioplastie primaire en salle de cathétérisme ou une thrombolyse si elle n'a pas été faite. Les premiers résultats du registre Record sont très encourageants et montrent bien une amélioration significative en matière de délai d'arrivée du patient, du nombre de malades thrombolysés et du taux de mortalité plus bas.
Ces indicateurs sont très importants et vont nous permettre de nous améliorer. Ces résultats nous ont permis d'extrapoler nos chiffres à l'échelle nationale des syndromes coronariens aigus estimés à 24 000 par an dont 15 000 infarctus du myocarde. Le réseau a pour ambition de collaborer avec les autres structures prenant en charge le syndrome coronarien aigu.
En dehors du réseau, quelle est, d'après vous, la meilleure solution pour la prise en charge de cette pathologie au niveau national ?
Malgré la lourde mortalité engendrée par cette affection, il n'existe aucune stratégie à l'échelle nationale prenant en charge la problématique de ce fléau. Nous luttons depuis plusieurs années pour la mise en place d'une stratégie nationale de prise en charge de cette pathologie et il est certainement urgent d'y travailler.
On s'occupe du cancer actuellement, c'est une très bonne chose, mais il ne faut pas oublier que le cœur tue plus que le cancer en Algérie. Il est aujourd'hui important d e créer de nombreux autres services de cardiologie munis de salles de cathétérisme cardiaque. Chaque service devra se constituer en réseau et drainer tous les secteurs environnants.
Une véritable carte sanitaire cardiologique devra être constituée. Toute la population algérienne y doit être représentée. Une fois les réseaux constitués et leur fonctionnement établi, l'on s'occupera de la phase pré-hospitalière. Il est certain qu'un effort colossal devra être fait dans le domaine de la formation et de la sensibilisation.
La généralisation à l'échelle nationale de la thrombolyse hospitalière est une nécessité immédiate. Il faut aussi valoriser la profession médicale en instituant un système la contractualisation, seule issue actuellement, en particulier dans les zones du Sud. Il faut aussi revoir la formation du médecin généraliste et en particulier du médecin de famille qui doit absolument être réhabilité.
La prévention constitue également un moyen efficace pour la réduction du nombre de cas ?
La prévention primaire à grande échelle demeure le seul moyen peu coûteux et efficace pour enrayer ce danger des pays en voie de développement. Cela nécessite un programme national structuré et efficace où toutes les étapes doivent être respectées. Ce programme doit viser tout d'abord l'information qui est certainement l'outil principal de sensibilisation. Tous les moyens doivent être exploités, l'école doit être certainement le lieu privilégié.
Il faut lutter contre le tabagisme qui fait des ravages. Le tabac est la première cause de mortalité évitable à travers le monde. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) estime aujourd'hui qu'un fumeur sur deux mourra des conséquences du tabagisme. La convention-cadre pour la lutte antitabac est le premier traité initié par l'Assemblée mondiale de la santé, l'organe décisionnel suprême de l'Organisation mondiale de la santé. Les négociations ont débuté en octobre 1999 et ont été conclues le 1er mars 2003. La convention-cadre pour la lutte antitabac (CCLAT) a été adoptée à l'unanimité lors de la 56e Assemblée mondiale de la santé le 21 mai 2003 par la résolution 56.1 WHA.
La convention-cadre est entrée en vigueur le 28 février après la 40e ratification, et actuellement 76 pays l'ont ratifiée, dont 12 appartiennent à l'Afrique. La CCLAT comporte toutes les mesures voulues pour réduire la consommation du tabac dans notre pays. L'application de ce traité est indispensable pour réduire les méfaits de ce fléau social.
La loi antitabac et l'interdiction de fumer dans les lieux publics ne sont jamais entrées en vigueur en Algérie. Pourtant elles sont prévues dans les textes de loi 85-05 du 16 février 1985 relative à la protection et à la promotion de la santé modifiée et complétée, notamment ses articles 63 et 64 et dans le décret exécutif n° 01-285 du 24 septembre 2001 fixant les lieux publics où l'usage du tabac est interdit et les modalités d'application de cette interdiction.
Malheureusement, l'Algérie tarde à l'appliquer comme en témoigne l'absence d'interdiction de fumer dans les lieux publics. Je saisis cette occasion pour lancer un appel aux autorités concernées par la qualité alimentaire et la protection du consommateur afin d'arrêter la propagation dangereuse des restaurants de brochettes qui sont souvent composées d'un taux de graisse très nuisible pour la santé, de contrôler le taux de sucre dans les boissons sucrées.
Il y a beaucoup de travail à faire dans ce domaine. C'est comme cela qu'il faut agir. Notre alimentation qui est devenue riche en graisses saturées (brochettes grasses, viande grasse, omelette frites…) et aussi en sucre (consommation excessive de limonade, de sucrerie, de gâteaux….). Que fait-on pour développer l'activité physique ? Les espaces verts pour la pratique physique sont souvent vite envahis par le béton, surtout dans les grandes villes.
La formation médicale est très peu développée malgré le l'évolution de l'internet ?
Il est certain que la formation médicale continue reste très peu développée en Algérie. Elle est nécessaire et indispensable pour la pratique médicale, en raison de l'évolution rapide des connaissances en médecine. Le médecin doit donc remettre à niveau continuellement ses connaissances pour exercer convenablement sa mission. La formation médicale continue ne doit pas être occasionnelle, parcellaire, anarchique et monopolisée par les laboratoires pharmaceutiques.
Elle doit être structurée, planifiée en véritable institution de formation nationale devant avoir des objectifs et des méthodes d'évaluation. Elle doit être axée d'abord sur la formation préventive, comme le dépistage des maladies cardiovasculaires ou du cancer et les pathologies prédominantes. Enfin, l'évaluation doit être sanctionnante, comme cela se fait dans tous les pays du monde en mettant en place un système de quitus.


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