Pour avoir participé activement à la conception de programmes pendant plus de dix ans, je peux attester d'emblée que les programmes mis en œuvre dans les trois cycles sont algériens, élaborés par des Algériens qui travaillent en Algérie. C'est un fait avéré, vérifiable et observable. Et c'est même faire injure aux membres des groupes spécialisés de discipline (GSD), anciens ou nouveaux, que de les réduire au rôle de plagiaires, de sous-traitants ou de prête-noms. En qualité d'ancien membre et d'ancienne présidente du groupe qui a évalué les programmes de français entre 1996 et 2000 et élaboré, à partir de 2001, les programmes désignés aujourd'hui par le syntagme de «première génération», mis en œuvre en 2003 dans le cadre de la réforme du système éducatif, j'ai suivi de très près tout leur processus. Passée à l'enseignement supérieur, j'ai continué à suivre toutes ces questions jusqu'à leurs plus récents développements. Cela m'autorise à affirmer que l'agitation sur la «paternité» (ou la nationalité ?) des programmes est un faux débat. Et la meilleure façon de l'établir est sans doute d'éclairer l'opinion sur ce qu'est un programme, comment il s'élabore, s'applique et s'évalue. Aussi, au delà du «qui» il faut connaître le «quoi», le «comment» et le «pourquoi». Le quoi ? Même si le terme de «programme» est polysémique, on peut se contenter de la définition de l'Unesco, datée de 1978 et usitée de par le monde de manière consensuelle : «Le programme est un ensemble de cours théoriques et pratiques dispensés dans un système d'enseignement et généralement agencés pour atteindre, en une période donnée, des objectifs éducatifs correspondant à différents niveaux de connaissances ou de qualifications.» En d'autres termes, un programme scolaire est un inventaire de ce qui doit être fait lors d'un cursus de formation, selon une mise en forme concrète, dans une logique de projet, après détermination des profils d'entrée et de sortie et selon un séquençage étudié des contenus en termes de savoirs, savoir-faire et savoir-être. Il faut bien entendu envisager d'éventuels correctifs lors de l'implantation d'un programme et procéder au terme d'une période donnée – généralement cinq ans – à l'évaluation de son efficacité. L'évaluation périodique des programmes est une activité non seulement nécessaire, mais essentielle car ceux-ci peuvent s'avérer – ou devenir – inadéquats au regard de nouveaux besoins à satisfaire. Cette révision périodique peut déboucher sur un réaménagement partiel, une refonte totale, ou le maintien en l'état. L'évaluation de programme consiste en une série d'interrogations pour améliorer leur fonctionnement et augmenter leur valeur et leur utilité sociale. Ces interrogations s'articulent autour de trois axes majeurs : que faisons-nous ? Comment faisons-nous ? Qu'avons-nous fait ? La première question concerne les intrants du programme (contenus), la seconde s'intéresse au processus (pédagogie) et la troisième se préoccupe des extrants (résultats). Evaluer l'efficacité d'un programme c'est à la fois vérifier l'atteinte des objectifs visés et examiner le niveau de transfert des acquis. L'évaluation de l'efficience d'un programme permet de vérifier la relation existant entre les ressources investies dans un programme et les résultats observés et, enfin, évaluer l'impact d'un programme, c'est mesurer les effets que celui-ci a pu engendrer dans son environnement institutionnel et social. Le comment ? Pour concevoir un programme, il faut opérer des choix théoriques et méthodologiques. Ceux qui ont sous-tendu les programmes de 2003 comme les nouveaux, sont le constructivisme et le socioconstructivisme. Le premier s'oppose radicalement au behaviorisme ayant induit le fameux «parcœurisme» tant décrié. En effet, le constructivisme induit la réflexion de l'élève non seulement sur «ce» qu'il apprend mais également sur «comment» il apprend. Quant au second, les théoriciens de l'acquisition ont démontré que la socialisation accroît l'apprentissage et il est prouvé universellement que dans un binôme ou un groupe, les échanges entre apprenants favorisent les explications, les reformulations, les démonstrations, les argumentations qui aident l'élève à intégrer de nouvelles connaissances, à acquérir et développer des compétences. C'est le fameux principe «d'apprendre à apprendre». L'approche par compétences implique de centrer l'intervention pédagogique sur les activités d'apprentissage de l'élève, de le placer dans des situations les plus variées, les plus authentiques et les plus contextualisées possible pour l'amener à développer des habiletés cognitives de niveau supérieur : jugement critique, prise de décision, résolution de problèmes, auto et coévaluation, etc. Il ne faut pas oublier que la science est universelle et qu'avec les nouvelles technologies, la globalisation concerne aussi la didactique et la pédagogie. Les neurosciences ont un impact sur ces disciplines et notre pays ne peut rester en dehors de ce mouvement. Ne pas tenir compte des progrès enregistrés dans ces domaines, c'est creuser l'écart entre les pays performants en matière d'éducation et le nôtre, ce qui va à l'encontre des ambitions de tout Algérien doué de bon sens. En matière de programmes scolaires, l'Algérie a opté pour un concept qui lui appartient. Créée en 2001 et installée à l'Institut national de recherche en éducation (INRE), la Commission nationale des programmes (CNP) est l'instance suprême dont dépendent les programmes. Constituée d'universitaires de différentes spécialités, de didacticiens, de pédagogues, de personnalités appartenant aux sphères supérieures de certains ministères et d'inspecteurs de l'éducation et de la formation, elle supervise les travaux des groupes spécialisés disciplinaires (GSD). La tâche principale de la CNP est de définir les missions de l'école en termes d'éducation, d'instruction, de socialisation et de qualification. Pour ce faire, elle s'est appuyée sur l'ordonnance n°76-35 du 16 avril 1976 pour les programmes de 2003 et sur la loi d'orientation n°08-04 du 23 janvier 2008 pour ceux dits «de la deuxième génération». Le pourquoi ? Les programmes servent à concrétiser les diverses finalités assignées à l'école. En Algérie, celles-ci sont définies par un document de référence, le Guide méthodologique d'élaboration des programmes (CNP, MEN, 2009). Citons-les. En matière d'éducation, ces finalités visent «l'affirmation de la personnalité algérienne et la consolidation de l'unité de la nation par la promotion et la préservation des valeurs en rapport avec l'islamité, l'arabité et l'amazighité ; la formation de la personnalité par l'apprentissage de la culture démocratique, meilleur garant de la cohésion sociale et de l'unité nationale ; l'ouverture et l'intégration au mouvement universel de progrès par la promotion de l'enseignement scientifique et technologique ; la réaffirmation du principe de démocratisation de l'enseignement, obligatoire et gratuit pour éradiquer l'analphabétisme et l'illettrisme ; la valorisation et la promotion de la ressource humaine par des approches favorisant le développement intégral de l'élève et son autonomie». En matière d'instruction, l'école a pour mission de «garantir à tous les élèves un enseignement de qualité favorisant l'équité, l'épanouissement intégral, harmonieux et équilibré de leur personnalité ; d'acquérir un bon niveau de culture générale et des connaissances théoriques et pratiques en vue de s'intégrer dans la société du savoir ; de leur assurer l'acquisition de connaissances dans les différents disciplinaires et la maîtrise d'outils intellectuels et méthodologiques ; d'enrichir leur culture générale de manière à s'adapter aux évolutions sociales, culturelles, technologiques et professionnelles». En matière de socialisation, la mission de l'école est d'éduquer les élèves au respect des valeurs spirituelles, morales et civiques de la société algérienne, ainsi que des règles de vie en société, en relation étroite et en complémentarité avec la famille en «développant le sens critique des élèves ; dispensant une éducation en harmonie avec les droits de l'enfant et les droits de l'homme ; préparant les élèves à la vie en société et en les initiant aux règles du savoir-vivre ensemble ; formant des citoyens capables d'initiative et de créativité». En matière de qualification, l'école doit permettre aux élèves de «réinvestir et d'opérationnaliser les savoirs et savoir-faire acquis ; d'accéder à une formation supérieure ou professionnelle conformes à leurs aptitudes et aspirations ; d'innover et de prendre des initiative ; reprendre des études ou d'entamer de nouvelles formations après leur sortie du système scolaire». Enfin, le qui ? Pour chaque matière, le groupe spécialisé de discipline traduit ces finalités en buts, les démultiplie en objectifs généraux, détermine les contenus, les démarches, les moyens d'enseignement et les formes et procédés d'évaluation. Le groupe est dirigé par un inspecteur du secondaire et se compose de 12 membres : deux inspecteurs et deux enseignants pour chaque cycle (primaire, moyen et secondaire). Nommés par arrêté ministériel, ces professionnels sont choisis pour leurs compétences pédagogiques et leur expérience. En effet, être concepteur de programme n'est pas un métier facile, il induit une implication totale dans des activités de réflexion, de recherche documentaire, de rédaction d'un programme et de son document d'accompagnement pour chaque année, de démultiplication lors de séminaires, etc. Une fois élaboré, le projet de programme est soumis à la CNP qui le valide ou demande des réajustements. Après plusieurs allers-retours entre le GSD et la CNP, le projet et son document d'accompagnement validés sont présentés au/à la ministre de l'Education nationale pour adoption. De projet, il devient alors «programme officiel national» et son application est prescriptive sur l'ensemble du territoire. Bien entendu, de tels processus ne sont pas aisés. Dans le monde entier, ils font l'objet d'évaluations et de révisions périodiques pour en corriger les erreurs éventuelles, mais aussi et surtout parce que toutes les nations tentent de s'adapter à leur propre évolution comme à celle du monde. Tordre le cou à une rumeur aussi farfelue qu'infondée sur des programmes écrits par «la main de l'étranger» est chose aisée : il suffirait, par exemple, d'organiser des journées portes ouvertes sur les activités des GSD et de la CNP ou d'inviter les journalistes à faire des reportages in situ sur les multiples et passionnantes activités des concepteurs de programmes. Et je peux ici assurer que ces Algériens et Algériennes, conscients de leur algérianité et de leur responsabilité, s'efforcent de donner le meilleur d'eux-mêmes pour que les enfants de leur pays s'élèvent aux meilleurs niveaux dans un monde où la concurrence est féroce.