– L'élection de Donald Trump a été suivie dans certains milieux, notamment économiques, par un vent de panique. Peut-on commencer par dire que l'exercice du pouvoir risque tout de même d'influencer sa politique et l'obliger à des compromis ? La campagne électorale face à la redoutable Clinton imposait un ton et un lexique bien musclés de la part de Trump. En revanche, l'exercice du pouvoir possède ses propres paramètres. Le discours de la victoire a montré un autre visage du Président élu. Sachant que tout le monde est en embuscade, Trump doit tempérer son discours et ses premiers gestes. Son parti rodé à l'exercice s'en est déjà saisi. La force du système américain et de l'establishment réside dans leur capacité à absorber les nouvelles figures politiques même celles qui les contestent. – Pour le Moyen-Orient, les experts sont à peu près d'accord pour dire qu'entre Trump et Clinton, il y avait de toute manière peu de différences, le premier étant un faucon affiché, l'autre, un faucon à peine masqué. Quel est votre sentiment ? La politique étrangère de Clinton est déjà connue. Elle fait de la politique depuis 1979 quand son mari, Bill Clinton, était gouverneur. Elle a dirigé la politique étrangère pendant plusieurs années en affichant ses orientations. Son rival, Trump, n'a pas montré un grand enthousiasme à la politique étrangère. Quand il en parle, il reste dans les grandes lignes. Non seulement il n'a jamais exercé un mandat électoral, mais sa proximité avec les enjeux internationaux ne lui permet pas d'esquisser une vision cohérente et lisible. Et c'est là où ça de vient intéressant. Son dogmatisme laissera vite la place à un réalisme basé uniquement sur la sécurité nationale et la sauvegarde des intérêts américains même au détriment de ceux des autres. Donc, il ne portera pas de crédit à un système collectif de sécurité, à la légalité internationale et aux normes internationales établies par le droit international et les organisations issues du système onusien. Hillary Clinton était pour un certain statu quo qui arrangeait tout le monde. Trump doit d'abord sortir de l'ambiguïté et s'affranchir de l'héritage Obama. La suite sera en partie déterminée par un équilibre entre les acteurs institutionnels et politiques du pays. Je suis plus inquiet du fait que l'Exécutif et les deux Chambres sont désormais aux mains des républicains, l'Amérique perd les contre-pouvoirs utiles au bon fonctionnement de la démocratie. – De nombreux sondages montrent que les Etats-Unis sont de plus en plus perçus comme une menace à la paix et à la sécurité. En quoi la victoire de Trump peut-elle, selon vous changer la donner au Moyen-Orient en particulier ? La victoire de Trump est une révolution. Sa méthode de faire la politique sera certainement différente. Les inquiétudes sur ses positions sur les minorités, les étrangers, particulièrement les Arabes et les musulmans, sont légitimes. A l'international, il est tenté par un certain repli proche de l'isolationnisme et une sympathie pour les régimes autoritaires ou les chefs autoritaires. Obama a tellement déçu dans le Moyen-Orient que nombreux sont ceux qui souhaitent une nouvelle approche. Ceci dit, la marge de manœuvre de Trump est limitée. Les Etats-Unis ont montré leur limite dans la gestion des crises dans cette région. Ils ne sont plus seuls et n'ont plus la capacité d'agir sur tous les acteurs. L'Irak est prioritaire pour les Américains. Ménager l'Iran réhabilité est un outil pour stabiliser l'Irak, la Syrie et le Liban. Voilà l'équation d'Obama que Trump doit résoudre. En plus de l'inquiétude de certains Etats arabes, dont la sécurité est assurée par Washington, les Européens, atlantistes ou non, sont dans l'attente de réponses sur l'avenir de leur relation avec Washington. – A peine Trump élu, Israël a déjà parlé de la «fin de la solution d'un Etat palestinien». Comment imaginez-vous la relance du processus de paix ? Franchement, le processus de paix est en panne depuis plusieurs années. Obama n'a pas réussi à faire le service minimum en essuyant un refus dans le gel des colonies. Netanyahu est dans une position de force à l'intérieur comme l'extérieur, il devient dès lors difficile de lui imposer une solution juste au conflit. Et ce n'est pas le Congrès qui s'y opposera. Trump est un homme imprévisible, sa politique le sera aussi. D'où l'importance de l'équipe qui l'entoure et de son parti à l'assister pour limiter les dégâts. Mais, c'est loin d'être gagné. – Y a-t-il des personnalités dans le Monde musulman – on pense en particulier à Fethullah Gülen – qui risquent de voir leur avenir basculer sous la présidence de Trump ? Erdogan est bien perçu par Trump. Mais Gülen est une carte politique importante à jouer dans les relations avec Ankara. L'arrivée de Trump réjouit certains dirigeants de la région et d'ailleurs. Ils pensent qu'ils ne seront plus comptables devant l'Amérique en matière de bonne gouvernance, de démocratie et de respect des droits de l'homme. – Vladimir Poutine s'est aussi empressé d'envisager un rapprochement avec son homologue. Dans ce contexte, quels sont vos scénarios pour la Syrie ? Poutine a joué de tout son poids en faveur de Trump. Avec le FBI, on peut les considérer comme les deux grands électeurs non déclarés. Les deux hommes partagent une certaine nostalgie de l'ordre et de la suprématie à tout prix. Ils sont moins sensibles au respect de la légalité internationale et la culture du consensus. Dans sa campagne, Trump était favorable à un rôle plus actif de la Russie en Syrie. En même temps, ses positions face aux régimes iranien et syrien sont à l'opposé. Trump va insister sur la guerre contre le terrorisme qui est un fonds de commerce très apprécié par son camp républicain dont il est était à l'origine sous Bush junior. – «Immédiatement après avoir pris mes fonctions, je demanderai à mes généraux de me présenter un plan sous 30 jours pour vaincre et détruire l'EI», avait déclaré Donald Trump. Concrètement, que peut-il faire de plus que ce que font les Russes et les Syriens, et la coalition ? Au-delà du discours électoral, la guerre contre l'EI n'est pas seulement une guerre militaire. Washington doit assumer sa responsabilité dans le développement du mouvement terroriste à travers le monde depuis Al Qaîda jusqu'à Daech. Sans se consacrer aux conditions politiques et socio-économiques qui ont favorisé ces organisations et leur mode de pensée, je doute que Trump puisse faire mieux qu'Obama.