Le Fonds spécial de retraite (FSR, avec ses 40 à 50 000 bénéficiaires directs du régime spécifique de retraite des cadres supérieurs mène son grand train dispendieux, indifférent au démantèlement en cours des droits et acquis sociaux et aux cris et râles des travailleurs. A l'heure où le régime Bouteflika fait adopter ses lois antisociales (loi de finances, loi sur les retraites, code du travail), le très «spécial» FSR, à la faveur d'un régime de retraite franchement discriminatoire et cousu sur mesure pour les super citoyens de la nomenklatura et du système, continue de distribuer gros salaires et grasses pensions. De loin supérieures à 15 fois le salaire minimum garanti, soit 270 000 DA. Des pensions égales à 100% du meilleur salaire «indexé» sur le salaire d'un cadre en exercice. Exemple : la pension d'un ministre affilié au FSR et admis à la retraite dans les années 80' ouvre droit à une pension d'ancienneté sans condition d'âge égale au salaire d'un ministre d'aujourd'hui. Le FSR, c'est mille et une faveurs et avantages que rien, aucun gouvernement, aucune loi, ne vient remettre en cause. «Je vous jure… je ne sais pas où se trouve cette caisse (…)». L'ancien député RCD, Ali Brahimi, n'a jamais eu affaire «directement» avec le FSR. C'est son ancienne administration, celle de l'Assemblée qui s'occupe de toutes les démarches auprès du FSR. Brahimi trouve injuste de se focaliser sur les indemnités des parlementaires, oubliant les rentiers chroniques tapis dans l'armée, la présidence, le gouvernement, la haute administration. «A la Présidence, il est de simples cadres supérieurs qui touchent des salaires de 35 millions (…) et plus, mais qui parle d'eux ?» Un salaire proche de la rémunération d'un ministre estimé entre 400 000 et 450 000 DA. Mais, décidément, la prime qui fait scandale par ces temps de crise instrumentalisée par le pouvoir, c'est la prime de fin de mandat de parlementaire – équivalant à un an d'indemnités, soit plus de 3 millions de dinars. A la grande curée pourtant, les parlementaires ne sont pas les seuls et surtout pas les mieux gavés. Le «congé spécial», rémunéré et comptabilisé – au même titre que la période d'intérim – dans le calcul de la pension – fait partie de ces nombreux privilèges concédés aux cadres supérieurs. Dans le code des pensions militaires, cet autre régime spécifique, le congé spécial, d'une durée d'un an renouvelable, est également comptabilisé dans le calcul de la pension. Le Fond occulte Veille de débats à l'APN sur l'amendement de la loi sur les retraites. Quartier Clauzel. A un fétu de briques du siège du Trésor public et des principales banques, dont la Banque centrale située boulevard Amirouche. En haut de l'avenue Victor Hugo, à l'angle de la rue Réda Houhou, un bâtiment massif mais d'allure presque banale – 5 étages dont deux en verre fumé – abrite une très discrète administration et sa petite armée de petits fonctionnaires dont la besogne quotidienne consiste à faire fonctionner la pompe à fric pour les «gens d'en haut» : compter, calculer, actualiser les salaires, pensions et indemnités pour des dizaines de milliers de cadres supérieurs et hauts dirigeants du pays. «J'en connais qui dépriment après avoir aligné de longues séries de zéros», s'amuse ce fonctionnaire de la «caisse», la Casnos, dont le bâtiment est mitoyen. Hormis l'étendard national vissé au fronton de l'immeuble, au-dessus de l'immense porte d'entrée, rien n'indique la présence de cette administration officielle. Aucune plaque. Pas la moindre indication. Si ce ne sont ces panneaux de stationnement «réservé au FSR», le vague acronyme dévorant une portion de la rue Réda Houhou. Interviewer le nouveau directeur du Fonds spécial de retraite (l'ancien, Tahar Boussouar, après 15 ans à la tête de ce service, a été admis à la retraite en 2015 par décret du président Bouteflika) paraissait d'emblée mission impossible. Au secrétariat (du FSR), on fait savoir qu'il ne peut y avoir d'entretien «sans l'autorisation expresse du ministre des Finances», la tutelle dont relève le FSR. Système de retraite à deux vitesses Le syndicaliste Noureddine Bouderba, ancien membre du conseil d'administration de la CNAS et ancien dirigeant à GTP (grands travaux pétroliers), est devenu le mouton noir du gouvernement et de l'appareil de l'Ugta. La contradiction apportée en public aux discours et à la propagande officiels sur la faillite présumée du système de retraite le met décidément au ban. Sa maîtrise du fonctionnement du système de Sécurité sociale dont il saisit les moindres subtilités, l'état général des caisses, l'impact des politiques publiques font de lui un «bon client», couru aussi bien par les médias que par les syndicats autonomes qui y puisent une part importante de leur argumentaire. Pour cet empêcheur de tourner en rond, le système de Sécurité sociale est «une des plus belles réalisations» de l'Algérie indépendante. Le système de retraite, unifié par la loi de 1983, grand acquis du monde du travail, n'en est pas moins discriminatoire en tolérant, en parallèle, l'existence de deux autres systèmes de retraite conçus exclusivement pour l'armée (code de retraite militaire) et pour les cadres supérieurs du parti et de l'Etat. «Je ne pose pas le problème d'un point de vue moral, même s'il se pose, dit-il, mais d'un point de vue purement politique. Comment voulez-vous que le peuple accepte le discours sur l'austérité, partager le fardeau quand le cadre supérieur après seulement 20 ans de cotisation dont dix en poste supérieur peut partir en retraite sans condition d'âge ? C'est-à-dire que vous pouvez avoir travaillé comme ouvrier pendant dix années et occupé un poste supérieur pendant dix ans, au bout vous partez à la retraite sans condition d'âge calculée sur le meilleur salaire de la carrière, mais surtout indexé sur le salaire en poste réel. Et même au niveau de la pension de réversion, lorsque le cadre supérieur disparaît, ses héritiers touchent la même pension.» La pension d'un cadre supérieur, rapportée à celle du régime général, détonne aussi bien par les écarts abyssaux dans les montants que par les énormes inégalités et discriminations que le législateur consacrera dans les textes envers et contre le principe — constitutionnel — d'égalité entre Algériens. Des discriminations dans les conditions d'ouverture du droit, dans les modes de calcul des pensions, les annuités comptabilisées, les taux de bonification appliqués, l'âge d'ouverture du droit. Les chiffres sont retors, explique M. Bouderba, et la comparaison avec les pensions des cadres supérieurs donne des discriminations d'une dimension autre. 60% des retraités touchent moins du smig En 2012, relève l'expert, la pension moyenne des droits directs, tous types de retraite confondus, était de 17 700 DA/ mois et est passée à 35 400 en 2015, soit exactement le double. Derrière ces chiffres trompeurs se cache, selon lui, une «inégalité criante». Sur 1,6 million de pensionnés de droit direct, 60%, soit 960 000, perçoivent une pension inférieure au SNMG (18 000 DA). «Autrement dit, 60% de nos retraités vivent en dessous du seuil de pauvreté. Et cela ne veut pas dire que la situation des actifs smicards est meilleure». «C'est irréversible : la retraite anticipée, c'est fini», dixit le Premier ministre, Abdelmalek Sellal. «Maintenir la retraite anticipée, c'est programmer la faillite du système de retraite», dit Mohamed El ghazi, ministre du Travail. Agés respectivement de 68 et 67 ans, les deux énarques, camarades de promotion (diplômés de l'ENA en 1974) traînent, chacun, sa longue carrière de commis de l'Etat. Aujourd'hui, ils affichent plus de 42 ans de service au sein de structures de l'Etat. Soit plus de quatre fois le nombre d'années exigé par leur régime de retraite des cadres supérieurs. Leur droit à la pension d'ancienneté sans condition d'âge n'est pas compromis par la «réforme» du système de retraite. Les parachutes du gouvernement S'il n'est pas appelé à plus haute pension, Sellal, retraitable potentiel depuis ses 50 ans révolus, peut compter sur une très respectable pension de Premier ministre égale à son salaire actuel (estimé entre 700 000 et 750 000 DA ) et plus si affinités. S'il reprennent du service, les cadres supérieurs, affiliés au FSR, recevront, en plus de la jouissance de leur pension dont le montant est équivalent à la dernière rémunération nette la plus favorable plus les primes et indemnités de fonction, 40% du salaire du nouveau poste. Ciel dégagé et parachute doré pour ces deux membres du gouvernement décidés à en finir avec la retraite sans condition d'âge. A la Maison du peuple, fief déserté des luttes sociales et siège des compromissions de l'appareil syndical de l'UGTA. Quelques voix sourdes montent des fédérations (textiles et pétroliers), hostiles à la nouvelle loi sur la retraite. Les mesures de représailles contre les syndicalistes réfractaires à la position de la direction de l'UGTA (deux cadres syndicaux déjà suspendus à Béjaïa et Tizi Ouzou) ont refroidi plus d'un. Dans le hall de la salle d'exposition de l'ex-Foyer civique, on chuchote à peine. Dans les bureaux de la FNTR, la Fédération des travailleurs retraités, au premier étage, on affiche sa pleine adhésion à la suppression de la retraite sans condition d'âge et l'abrogation de l'article 2 de l'ordonnance n°97-13, décidée lors de la tripartite de 2009. «L'abrogation, c'est nous qui l'avons demandée et nous en sommes fiers», rétorque Smail Boukris, le secrétaire général de la FNTR. Il est temps de revenir, selon lui, à la norme fixée en 1983 par la loi sur les retraites : 60 ans d'âge révolus, 55 ans pour la femme et 15 ans au moins de cotisations sociales. «Les comptes de la Caisse de retraite sont vides à cause des départs massifs à la retraite anticipée et il faudrait impérativement rééquilibrer les comptes de la CNR», ajoute-t-il. Au 1er janvier 2017, la retraite sans condition d'âge après 32 ans de travail ainsi que la retraite proportionnelle sans condition d'âge auront disparu. La pension de retraite de Abdelmadjid Sidi Saïd, le patron de l'UGTA, affilié au régime des cadres supérieurs, est quant à elle promise à des jours meilleurs. Autour de la centrale, les basses et moyennes pensions fondent sous le soleil du 1er Mai. Sur les bancs publics du boulevard Aïssat Idir, les retraités des Groupes HLM errent, de banc en banc, comme des âmes en peine. «Houma m'tuyau ou h'na ala Rebbi» (Eux se servent directement du pipe et nous on reçoit les restes». Saïd, 59 ans, est un néo-retraité. Il a six bouches à nourrir et seulement 27 000 DA de pension de misère. «Avec ça, je tiens à peine dix jours, dit-il. Pour les 20 jours qui restent, je me débrouille comme je peux.» Après 24 ans de travail et avant que le gouvernement ne mette sa menace à exécution, Saïd a fait valoir son droit à la retraite proportionnelle sans condition d'âge. Dans le parking de sa cité-dortoir pour Algériens de seconde zone, il s'est aménagé son atelier en plein air, où il retape de vieilles voitures, toujours des Flyer, brouette chinoise, qu'il revend au marché noir. «Khlas, Ça y est, je suis décidé. Je fais une demande, une demande d'emploi à mon ancien patron, une demande, une demande d'emploi.» A l'aube de ses 60 ans, le chibani s'apprête à entamer une seconde vie de labeur.