Forte d'une population de 42 000 habitants, cette contrée berbérophone relevant du arch des Beni Khalfoun vit au rythme des actions de protestation à longueur d'année. La fermeture du siège de l'APC et des axes routiers y est monnaie courante. Cette commune, qui partage des frontières avec Tizi Gheniff (Tizi Ouzou) à l'est et Lakhdaria (Bouira) au sud, semble assise sur une poudrière. Malgré ses étendues à vocation agricole, Chabet El Ameur symbolise de nos jours la faillite des politiques visant la revalorisation du travail de la terre. Les champs de blé qui faisaient la renommée de la région après l'indépendance ne sont qu'un lointain souvenir. Aujourd'hui, la localité occupe la tête des classements au niveau de la wilaya en matière du taux de chômage, de cas de suicide par an et du nombre de jeunes qui quittent le pays de manière légale ou illégale. Il y a une vingtaine de jours, des centaines d'habitants en mal de vivre sont sortis dans la rue et ont observé une grève générale suite à la mort d'un quadragénaire qui a fait une chute dans un regard laissé ouvert par une entreprise chargée de la rénovation des trottoirs et du réseau d'évacuation des eaux de pluie. Ce drame n'était en vérité que la goutte d'eau qui a fait déborder le vase, tant la population vit un marasme sans précédent depuis plusieurs mois. Une situation due, selon les habitants, au blocage des projets de développement et à «la sourde oreille dont font preuve nos responsables pour améliorer nos conditions de vie». Une commune qui manque de tout En ce lundi de fin octobre, le chef-lieu grouillait de monde. La tension se lisait sur tous les visages. Devant le commissariat, des policiers scrutaient le moindre mouvement susceptible d'inciter les jeunes qui bouillonnaient de colère à reprendre la protesta. La ville offrait un décor lugubre. Les routes Chabet El Ameur sont, sans exception, dans un piteux état. Point de trottoir ni d'espace vert. Le projet d'amélioration urbaine inscrit par la DUC est bloqué depuis plusieurs semaines. Les baraques de fortune et les constructions illicites sont visibles à chaque coin de rue. Les marchands de fruits et légumes étalent leur marchandise à même les trottoirs, occasionnant des bouchons et une anarchie indescriptible au centre-ville. En somme, rien ne donne envie d'y rester. «Notre commune manque de tout. Nous n'avons que des cafés où on tue le temps du matin au soir à cause du chômage. Je suis un manœuvre et il y a énormément de jeunes licenciés qui travaillent avec moi sur les chantiers», fulmine Saïd Moukhoukhi (29 ans). Ce jeune désœuvré en a gros sur le cœur. Il dresse une liste interminable de problèmes qui «empoisonnent» le quotidien des Chabétois. «Les gens en ont marre de la mauvaise gestion. Allez voir le projet de la bibliothèque communale. L'APC y a dépensé plus de 10 millions. Les travaux sont bloqués depuis plus de deux ans. Les deux marchés couverts réalisés pour éradiquer le commerce informel sont à l'abandon et se dégradent de jour en jour», déplore-t-il en dénonçant la prolifération de débits de boisson illicites à travers la localité. Son ami Azeddine Hadouche (30 ans), lui, se plaint de l'absence de structures de jeunes : «Il y a 10 ans, notre commune disposait de deux équipes de football. Aujourd'hui tout stagne. Le stade communal est dans état déplorable. Le projet de piscine semi-olympique promis en 2010 n'a pas encore démarré.» Azeddine travaille comme chef cuisinier dans un hôtel. Il avoue n'avoir jamais été assuré par ses employeurs. «Personne ne respecte la loi dans ce pays», tempête-t-il. Et d'ajouter : «J'habite à la cité Istiklal. Cela fait quelques mois qu'on a refait les trottoirs, mais rien n'a été fait dans les normes. Tout est bricolé. L'ancien dispensaire a été démoli en 2014, mais on n'a rien construit à sa place.» 400 constructions illicites sur des terres agricoles Devant l'APC, rien n'indique que la situation est revenue à la normale. Plusieurs banderoles sont accrochées sur le portail. Une dizaine de policiers veillent sur la sécurité des lieux du matin au soir. «Dans le monde, ce sont les guerre qui tuent. A Chabet El Ameur, se sont les regards qui tuent» ; «La responsabilité est une charge et non un plaisir. C'est la mission des grands qui ne peut être assurée par les mineurs», lit-on sur certaines banderoles. La fermeture du siège de la mairie est réduite à un simple fait auquel recourent les habitants pour dénoncer la malvie. En l'absence de la culture du dialogue, certains manifestants sont allés, par le passé, jusqu'à séquestrer le maire dans son bureau pour qu'il réponde à leurs doléances. La plupart des villages de la région sont sous-alimentés en eau potable. Le projet devant alimenter le arch Aït Mekla à partir du barrage de Taksebt connaît un retard considérable à cause des oppositions de propriétaires terriens. La couverture sanitaire est aussi défaillante. La municipalité compte cinq salles de soins, fermées à ce jour malgré l'achèvement des travaux de réalisation. L'une d'elle se trouve à Ouled Bentafat et une autre à Aït Saïd. Les villageois se déplacent jusqu'à la polyclinique du chef-lieu pour la moindre consultation médicale. Le président de l'APC, Rabah Ouchène, affirme (lire l'entretien ci-dessous) qu'il travaille dans «des conditions très difficiles». «Notre commune est déstructurée. La plupart de nos cadres sont partis en retraite et nous ne pouvons pas les remplacer. Car nous avons reçu une instruction du Premier ministre qui nous interdit de recruter. De plus, notre commune est pauvre et vit grâce aux subventions de l'Etat», a-t-il précisé, soulignant que la commune compte 145 employés dont 81 recrutés dans le cadre du pré-emploi. Le maire a été élu en 2012 sur une liste FLN qui a obtenu 4 sièges sur 19 que compte l'APC. Le FFS a raflé 6 sièges, le RND 6, le MPA 3. M. Ouchene est devenu président de l'APC grâce à une alliance avec le RND. Une situation qui n'a pas été sans conséquence sur le fonctionnement de l'Assemblée en raison des luttes d'intérêt qui opposent les uns aux autres. Comme la plupart des communes d'Algérie, Chabet El Ameur est aussi victime de la mafia du foncier. Un fonctionnaire à la subdivision agricole des Issers fait état de 400 constructions érigées sur des terres agricoles. Ce phénomène est constaté surtout au lieudit Tizi El Vir, à quelques encablures du centre-ville. Mais aussi au site des Chalets où on a recensé 26 villas construites illicitement depuis des années avec la complicité des services de l'Etat.