Soufiane Djilali (Jil Jadid) : «Il faut un marché libre pour une vraie concurrence» La question de la rentabilité des entreprises de presse se pose, depuis la crise financière du pays, avec acuité. Leur ressource première a été, jusqu'ici, la publicité. La presse paye aujourd'hui les effets néfastes de plusieurs distorsions, politiques et économiques. Le secteur relevant du privé mais névralgique pour le pouvoir, celui-ci s'est immiscé dans sa gestion par des moyens de pression (publicité) et par la démultiplication des titres de sa propre clientèle. Cela a eu pour effet de diluer la manne publicitaire qui a été orientée, par ailleurs, au détriment des titres sérieux et en finançant en même temps une pseudo-presse appartenant à des proches du régime pour en faire un moyen de rente. Tant que l'économie était irriguée par la rente du pétrole, chacun pouvait trouver les moyens de sa survie. Maintenant que les revenus ont chuté, les vraies entreprises de presse indépendantes sont en grande difficulté. Pour Jil Jadid, les solutions sont à chercher à travers l'organisation d'un marché libre ouvrant la voie à une vraie concurrence. La presse de qualité émergera malgré les difficultés, alors que les journaux de complaisance disparaîtront. L'offre en espace publicitaire se réduira d'autant. Il faudrait bien sûr laisser la responsabilité du choix du titre support à l'annonceur, sans intervention politique en amont. Sans presse privée, il n'y a ni liberté d'expression, ni développement moderne, ni démocratie. La presse est essentielle pour la vie démocratique et pour la défense des libertés et de l'Etat de droit en général. Dans un régime encore largement fermé et dominé par des intérêts étroits, on retomberait très vite dans le contrôle systématique de l'information, bien que cette tentative serait vaine en soi puisqu'internet est déjà là. Hassen Ferli (FFS) «La liberté de la presse est un principe intangible» Tout d'abord, il faut préciser que la situation de la presse écrite, ou plus précisément la presse papier, est la conséquence d'une profonde crise pas seulement en Algérie, mais à l'échelle mondiale. Les nouvelles technologies de la communication, le tout-numérique, les réseaux sociaux ont fortement réduit l'impact et même le pouvoir qu'a eu la presse écrite jusqu'à une période pas lointaine. Ceci dit, les journaux, du moins ceux privés, étant des entreprises commerciales, leur existence est liée à leur rentabilité économique et de ce fait leurs ventes et leurs recettes publicitaires. En Algérie, cette rentabilité s'est faite quasi exclusivement sur la base d'une manne publicitaire publique, distribuée par le pouvoir sur une base d'allégeance et d'intérêts partagés. Cela n'a pas dérangé les éditeurs du moment qu'ils en ont été les bénéficiaires. Maintenant, comment aider les entreprises de presse ? Tout d'abord, quand on parle de crise et de risque de disparition, notre pensée doit aller vers ces milliers de personnes qui travaillent dans le secteur de la presse, pas spécialement les journalistes, mais aussi tous les autres travailleurs qui pourront se retrouver au chômage sans que personne ne s'en soucie, notre solidarité va en premier lieu à ceux-là. Pour le reste, je pense que les journalistes sont les premier à devoir réfléchir à leur métier, mais aussi à faire leur propre bilan, de voir et de situer leur responsabilité et entrevoir la meilleure manière de s'organiser et de se battre pour devenir une institution autonome, de se libérer des pressions et du chantage. Pour ce qui est des conséquences pour les partis politiques, si la presse privée venait à disparaître, nous ne pouvons parler que du FFS, pour notre parti, le principe de la liberté d'expression, la liberté de la presse est un principe intangible. Nous avons mis en garde à diverses reprises contre l'alignement inconsidéré de certains titres sur des intérêts qui n'ont rien à voir avec la liberté d'informer, Hocine Aït Ahmed a toujours soutenu qu'on pouvait «ne pas avoir les mêmes idées, mais on peut avoir un même combat. Les journalistes ne doivent pas oublier que leur liberté est liée à celle de tous les Algériens. La liberté de la presse, c'est une branche dans un arbre que sont les libertés publiques et ils doivent prendre garde à ne pas couper ce tronc commun qui la rend possible. La presse ne peut pas être une enclave de liberté au milieu d'un pays sans liberté.» Dans tout cela, il faudrait avoir aussi une pensée pour les journalistes de la presse publique réduits pour beaucoup, à contre-cœur, à être des suppôts, des serviteurs. La notion de service public se trouve de ce fait biaisée. La presse écrite publique est réduite à sa plus simple expression. Atmane Mazouz (RCD) : «Il faut un plan de relance du secteur» Les entreprises de presse ont connu une évolution difficile et contraignante depuis l'ouverture démocratique. Venir en aide à ces dernières qui font face à de nombreuses difficultés renvoie à traiter du sujet de la liberté d'entreprendre et d'expression en Algérie. Après vingt-sept ans d'existence, la presse algérienne continue à subir une double pression (fiscale et politique) d'un pouvoir qui ne cherche qu'à entretenir une pluralité de façade au détriment d'une véritable relance du secteur de la presse. Au RCD, nous considérons que nous sommes l'un des rares pays où la presse ne bénéficie pas d'un programme d'amélioration du secteur, même si un fonds est dédié à cet effet. Pour atténuer la crise que subissent les journaux, il est tout aussi urgent d'aller vers un plan de relance du secteur qui passerait par la libération de la publicité institutionnelle, la cessation des pressions sur les annonceurs, une meilleure distribution des journaux, la formation des journalistes à travers une école dédiée au journalisme, et l'instauration d'une instance indépendante qui garantira les intérêts des entreprises de presse. Nous sommes pour une presse libre. Il y va de l'information du citoyen. Quant aux conséquences sur les partis politiques, elles ne seront pas seulement néfastes à ces derniers, mais aussi à tous les Algériens. Au RCD, nous sommes déterminés à défendre la liberté de la presse et son autonomie de toute tutelle, même si notre parti ne fait pas seulement l'objet d'un boycott, en particulier des médias publics et parapublics, il est souvent victime de désinformation. Ahmed Adimi (Talaie El Houriyat) : «L'aide à la presse n'est pas une question de moyens» La liberté de la presse n'est bien évidemment pas séparable du droit à l'information. Et c'est le droit à une information professionnelle, rigoureuse et impartiale qui est sévèrement malmené par le régime politique en place. Tout système politique produit un système d'information compatible avec ce qu'il est. Un système démocratique est soucieux de la liberté de la presse parce qu'il la conçoit comme intrinsèque à son bon fonctionnement. Un système politique autoritaire, par contre, ne la conçoit que domestiquée et soumise. Et c'est cette logique autoritaire que notre système politique a poussé jusqu'à la caricature. Comme beaucoup d'autres droits et beaucoup d'autres libertés, le droit à l'information et la liberté de la presse n'ont qu'une existence nominale dans notre pays. Ce sont de fictions que le régime politique en place entretient pour les besoins de son image intérieure et, surtout, extérieure. Tout cela a une certaine cohérence. Un régime politique qui a tant à cacher, qui refuse de rendre quelque compte que ce soit, à qui que ce soit, et qui est plus à l'aise dans l'opacité que dans la transparence, ne peut pas s'accommoder de la liberté de la presse. La liberté de la presse est son cauchemar et il veut bien d'une presse, mais sans la liberté. Et c'est là que réside le rôle de la publicité institutionnelle conçue comme une arme de combat contre la liberté de la presse et le droit à l'information. Que fait l'Etat dans le secteur de la publicité qui est un secteur commercial par excellence ? Et pourquoi le régime politique en place tient-il au monopole sur la publicité institutionnelle comme à la prunelle de ses yeux ? Tout simplement parce que ce monopole lui permet d'acheter les fidélités et les allégeances et de punir les réfractaires et les insoumis. Il ne faut pas se leurrer, aucune aide d'aucune sorte ne sera d'un secours à la liberté de la presse sans une modernisation de notre système politique qui ferait du droit à l'information et de la liberté de la presse le socle de l'épanouissement démocratique de notre pays. L'affaire n'est donc pas une question de moyens ou de mécanismes à mettre en place, mais de choix politiques ; et le droit à l'information comme la liberté de la presse ne retrouveront leur place naturelle qu'à l'abri d'un choix démocratique. La presse indépendante n'a pas d'aide à attendre d'un régime autoritaire et ce n'est pas de là qu'elle viendra. Cette aide ne viendra que d'un Etat de droit, car l'Etat de droit et la presse indépendante ont mutuellement besoin l'un de l'autre. Avec l'avènement d'un Etat de droit dans notre pays, les aides dont la presse indépendante a besoin et les mécanismes pour l'apporter suivront naturellement. L'identification de ces besoins et les mécanismes à établir pour y répondre devront faire l'objet d'une concertation continue avec la corporation concernée. Le plus grand défi actuel pour la presse indépendante réside incontestablement dans la révolution numérique dont notre pays est encore loin de saisir tous les enjeux. C'est face à ce défi-là qu'elle a besoin du plus grand soutien, et ce soutien-là seul un Etat de droit pourra le lui apporter. Rassurez-vous, la presse indépendante ne peut pas disparaître tout simplement parce qu'il y a tant d'hommes et de femmes déterminés qui se battent pour elle. La presse indépendante en a vu d'autres. Elle a ses martyrs, et c'est de leur mémoire qu'elle puise son esprit de résistance. Même le terrorisme ne l'a pas réduite au silence. Sa cause n'est pas une cause orpheline et le combat livré en son nom n'est pas un combat solitaire. Dans ce combat, elle peut fléchir, elle peut subir les revers, mais il n'y a pas une seule force capable de lui faire mettre genoux à terre. La presse indépendante est inscrite dans une trajectoire démocratique qui va dans le sens de l'histoire. Ceux qui veulent la forcer à renoncer et ceux qui veulent la réduire au silence vont, quant à eux, à contre-courant de l'histoire. La presse indépendante ne sera pas victime d'une disparition forcée, car sa cause n'est pas séparable de la cause démocratique et cette cause-là ne peut pas disparaître.