Avec le spectre de disparition de titres en difficulté qui plane depuis le début de l'année en cours, la sonnette d'alarme est tirée. Du coup, les professionnels du secteur sont plus que jamais appelés à trouver des solutions viables aux problèmes, épineux et nombreux, qui se sont accumulés et avant tout, à trouver un moyen de s'organiser et de débattre des préoccupations actuelles. Il en va de la survie de cette presse qui constitue le fer de lance de la liberté d'expression et le vecteur essentiel de la démocratie dans notre pays. Les éditeurs doivent d'abord faire face au problème crucial que pose la baisse drastique des revenus due au recul brusque et durable de la publicité, qu'elle soit celle émanant des organismes d'Etat ou des opérateurs privés. Une situation face à laquelle même les pouvoirs publics semblent désarmés, comme l'a laissé entendre récemment le ministre de la Communication, Hamid Grine qui a appelé les journaux à se prendre en charge pour garantir leur survie. Cela même si la responsabilité est entièrement partagée avec le gouvernement qui continue, malgré tout, à entretenir une pluralité «fictive», au détriment d'une véritable relance du secteur de la presse. Sans programme et sans approche viable, les pouvoirs publics n'ont plus, en effet, aucune solution à proposer aux éditeurs. Il faut dire aussi que l'actuel ministre a hérité d'une presse sinistrée et complètement désorganisée. Il est illustratif de relever qu'au moment où, dans d'autres pays on assiste à la fermeture de journaux du fait de la concurrence de la presse électronique et des sites d'information, au contraire, en Algérie, les pouvoirs publics encourageaient, pour des raisons certainement politiques, donc irrationnelles, une prolifération des titres : 127 quotidiens sont tirés, dont un grand nombre est édité, faut-il le souligner, dans les régions, et dont les promoteurs ne sont intéressés que par la manne publicitaire. Et la question que l'on ne peut s'empêcher de se poser est de savoir à quelle logique obéirait cette hypertrophie dans la conjoncture actuelle, où la réalité de la presse est totalement travestie. Signe des temps : des voix s'élèvent depuis quelque temps, toujours les mêmes d'ailleurs, pour crier à l'usage «sélectif» de la manne publicitaire servie par l'ANEP au profit des titres dits «parapublics», alors qu'il fut un temps où ce cartel de journaux rechignaient la publicité institutionnelle. Maintenant que la publicité commerciale vient à manquer, on réclame son droit à la pub étatique ! Leur seul mode de survie est de garder le monopole. Or, l'on sait bien que l'entreprise publique qu'est l'ANEP ne représente que 18% de la publicité, le reste étant assuré par les opérateurs privés (téléphonie mobile, constructeurs automobiles, entreprise d'agro-alimentaire...), qui demeure, d'ailleurs, l'apanage d'un quarteron de quotidiens connus sur la scène. Insatiables, ces éditeurs sont en train de mettre la pression pour maintenir le statu quo qui leur est toujours profitable, tout en cherchant à maximaliser leurs profits par tous les moyens possibles (l'augmentation du prix du journal n'en est que l'aspect visible), et en se posant, aux yeux des lecteurs, comme des victimes expiatoires d'un pouvoir foncièrement liberticide et décidé à en finir avec les «quelques oasis de liberté d'expression» qui subsisteraient en Algérie. Alors qu'en vérité, ils étaient les premiers à bénéficier des largesses que leur a accordées ce même pouvoir pendant de longues années, et usent du trafic d'influence sans jamais avoir été inquiétés. S'agissant du monopole de l'ANEP sur la publicité institutionnelle, il faut rappeler que cette agence gère le portefeuille des publicités légales de l'Etat, lesquelles sont payées avec l'argent du Trésor public qui est, ici, utilisé comme aide indirecte aux journaux. Ce qu'il faut aussi savoir, c'est que le gros de cette publicité institutionnelle va au secteur privé, dont des journaux «à gros tirage» bénéficient au même titre que les moins nantis. Si ce portefeuille est enlevé à l'Etat, il reviendra aux fonctionnaires des communes et des collectivités locales de distribuer la publicité légale avec le risque d'enrichissement illicite qui va en découler au bénéfice de ces fonctionnaires. Dans ce cas, le contrôle fiscal portant sur les recettes publicitaires des journaux sera moins aisé avec la difficulté d'établir la traçabilité de ces recettes. Enfin, il est utile de rappeler que l'essentiel de la publicité commerciale passe par 4 500 boîtes de communication et concerne tous les supports (affichages, dépliants...), et pas seulement la presse écrite. Autre facteur malvenu pour la presse «dominante» : l'arrivée des chaînes de télévision privées et des journaux en ligne a naturellement réorienté la distribution de cette publicité commerciale, pour tous les avantages qu'ils offrent. La situation est aggravée par l'absence d'organisation des professionnels du secteur de la presse écrite, à commencer par les éditeurs qui ne sont liés par aucune coordination pour discuter des problèmes, pourtant communs, auxquels ils sont confrontés (distribution, fiscalité, formation...). L'intrusion des hommes d'affaires et des hommes politiques, intéressés essentiellement par la manne publicitaire, n'a fait qu'ajouter à la confusion qui règne dans le secteur. Autre circonstance aggravante : l'absence d'aide directe ou indirecte des pouvoirs publics à la presse écrite, en l'absence d'un cadre organisé qui fédère journalistes et professionnels du secteur afin de leur permettre d'être des interlocuteurs convaincants des pouvoirs publics. Il faut savoir que l'Algérie est le seul pays au monde où la presse ne bénéficie pas d'un programme d'aide. Le dernier fonds d'aide n'a jamais été utilisé, à un moment où les journaux en ont tant besoin. Les pouvoirs publics semblent considérer que «la publicité de l'ANEP est une forme d'aide». Alors que les éditeurs dits «opposants», plus voraces que jamais, crient au monopole de la publicité institutionnelle par l'agence étatique et voudraient eux aussi en profiter. Ceux qui sont pénalisés, ce sont les titres réguliers qui produisent une valeur ajoutée et qui investissent dans la formation. Or, la clef de voûte serait de reconnaître la particularité et la spécificité de l'entreprise de presse à laquelle il n'est pas approprié d'appliquer le critère de rentabilité. Puis, il faudra mettre un ensemble de mécanismes pour bien encadrer la presse écrite et favoriser son épanouissement. Il faut aller vers un assainissement du secteur, en arrêtant impérativement d'octroyer abusivement l'agrément à de nouveaux titres qui, non seulement, ne peuvent assurer leur propre survie, mais surtout polluent la scène médiatique avec des produits médiocres qui ne tiennent compte d'aucune éthique ni d'aucune règle professionnelle. A telle enseigne que des journaux laissent passer couramment des informations ou des commentaires inacceptables du point de vue déontologique, et dont certains touchent même à des questions d'ordre stratégique, à l'exemple du révisionnisme banalisé sur la question sahraouie ou l'apologie de l'extrémisme et du sectarisme. Il est temps que l'Etat intervienne pour prendre en charge la question de la presse écrite, et que le gouvernement manifeste une volonté politique réelle pour y mettre de l'ordre et l'aider à sortir du marasme dans lequel elle baigne.