Nous faisons de la résistance, de la guérilla de la liberté d'expression», a déclaré Omar Belhouchet, directeur de publication d'El Watan, pour résumer la situation de la presse indépendante en Algérie, lors d'une conférence-débat organisée avant-hier à Paris autour du film Contre-pouvoirs. Ce documentaire de Malek Bensmaïl relate le travail de notre rédaction durant la campagne électorale pour l'élection présidentielle, en 2014. «Nous refusons de céder à l'autocensure malgré tous les obstacles que nous retrouvons dans l'exerce de notre métier, notamment financiers. El Watan, par exemple, a payé cher sa couverture de la campagne électorale de 2014 où il a essayé de dire simplement qu'un homme malade, physiquement diminué, ne peut pas gérer un pays aussi complexe que l'Algérie», a-t-il est rappelé, précisant qu'«entre mai et décembre 2014, nous avons perdu près de 60% de nos recettes publicitaires à cause des pressions politiques sur nos annonceurs». Le conférencier a expliqué au public comment El Watan a construit son modèle économique : «Ça ne se voit pas dans le film, mais on combat quotidiennement pour garder notre indépendance économique, et donc éditoriale, face à un pouvoir politique autoritaire, qui empêche les journalistes de faire leur travail.» Et d'ajouter : «Nous avons connu près de 200 procès en 25 ans d'existence. Le journal a été fermé et censuré à sept reprises entre 1993 et 1998. La dernière censure a duré un mois et a failli causer sa fermeture définitive. A partir de là, il fallait développer une stratégie d'indépendance financière et commerciale. Après la censure de 1998, nous avons décidé, avec notre partenaire El Khabar, de développer nos propres circuits d'impression et de distribution afin de ne dépendre de personne.» L'orateur indique : «Nous sommes contraints d'être à la fois journalistes, publicistes, distributeurs et imprimeurs. Ce sont là, les conditions qui ont fait qu'un journal comme El Watan puisse exister dans un pays aussi autoritaire que le nôtre.» Pour M. Belhouchet, les journalistes algériens ne doivent pas plier ; au contraire, ils doivent réclamer davantage leurs droits : démocratisation de la gestion de la publicité étatique, accès libre aux sources d'information et dépénalisation réelle du délit de presse. Dans cet objectif, «contrairement au pouvoir qui ne supporte pas qu'il y ait une presse libre et critique, en tant que journalistes, nous sommes militants de la liberté d'expression, nous sommes militants pour la démocratie. Et les militants de la démocratie doivent débattre entre eux, discuter et argumenter, comme on l'a vu dans le film en ce qui concerne notre rédaction». François Bonnet, directeur éditorial de Mediapart, a pour sa part souligné qu'«on retrouve, dans le travail des journalistes d'El Watan présenté par le documentaire, ce qui fait le quotidien de notre métier et son charme. C'est-à-dire des discussions interminables, un dynamisme, une intelligence collective et un auto-questionnement permanent». Pour ce journaliste d'investigation, «si El Watan est vu aujourd'hui comme un journal algérien de référence, c'est parce qu'il est l'un des rares à produire de l'enquête. Il touche à la corruption, mais aussi à des questions sociétales importantes. Dans un environnement médiatique dominé par la presse trop éditorialisée, El Watan se distingue par la production de l'information.» Même si notre confrère est persuadé que le problème d'indépendance de la presse est plus complexe pour les journalistes algériens, il met en exergue les limites à la liberté imposées par certains systèmes démocratiques. «Il est clair que Mediapart n'existerait pas en France s'il n'y avait pas un problème majeur d'indépendance de la presse et de confiscation du système médiatique par une oligarchie industrielle, pour ne pas dire industrialo-politique», a martelé l'ancien journaliste de Libération et du Monde, auxquels il fait clairement allusion. «Il est vrai que la merveilleuse histoire du modèle économique du Monde, qui s'autogérait, est finie depuis son rachat après de nombreuses difficultés financières», a répondu Franck Nouchi, journaliste et médiateur du journal Le Monde. «Cependant, dit-il, la Société des rédacteurs existe toujours. En tant que journalistes, nous sommes donc copropriétaires de notre journal. C'est un gage d'indépendance. Nous gardons aussi notre culture professionnelle.»