La Kabylie, octobre 1994. A l'appel des deux tendances du Mouvement culturel berbère (MCB), près d'un million d'élèves désertent, dès la rentrée des classes, dans les wilayas de Tizi Ouzou, Béjaïa, Bouira et la région berbérophone de Boumerdès. A travers cette action de protestation, unique dans les annales de l'école, les initiateurs de la grève du cartable entendaient interpeller les plus hautes instances du pays pour l'introduction de la langue amazighe dans le système éducatif. L'année fut blanche en dépit d'une reprise « symbolique », fin avril, à la faveur d'un accord signé avec le gouvernement. Sur le terrain pédagogique, les retombées de l'année du boycott auront été catastrophiques et étalées dans le temps, aussi bien pour une génération complète d'élèves que pour l'encadrement du secteur. Le plus dur sera vécu l'année suivante qui avait connu un encombrement au niveau des cursus d'où le recours à la double vacation en raison des effectifs supplémentaires enregistrés. Psychologiquement, une rupture avait été provoquée chez les scolarisés dans le lien avec l'école, nous confient des psychologues travaillant en milieu scolaire. La reprise, en septembre 1995, n'a pas été sans dégâts. Les enseignants se sont employés non sans peine à une « mise en train » (révision des acquis précédents et reprise du lien avec les prérequis de l'année en cours). La progression, reconnaissent-ils, a été bien laborieuse et les résultats peu évident. En plus du travail didactique de réapprentissage, la discipline, selon les enseignants, a aussi accusé un sérieux coup. Mais le plus gros des aléas reste la double promotion en première année de chaque palier. La rentrée, qui a suivi la grève du cartable, a vu la première année du primaire reprendre d'abord l'ancien effectif et accueillir en même temps les nouveaux inscrits. Les capacités infrastructurelles et les effectifs en enseignants restant inchangés, on imagine la surcharge des classes. Le recours à la double vacation ne suffira pas à contourner le problème. Tant et si bien que la surcharge s'est reproduite par ricochet sur la première année du moyen 6 ans après et sur la première année du secondaire 9 ans plus tard. Un phénomène donc qui a eu des répercussions jusqu'en 2004, soit une dizaine d'années après. « Les élèves n'ont jamais pardonné la perte d'une année de leur cursus. Les examens de fin d'année et le passage en classe supérieure n'ont pas eu lieu. Et il aura fallu tenter de rattraper tout ce temps perdu l'année d'après », se souvient Arezki Arridj, ancien président de la Fédération des parents d'élèves de la wilaya de Tizi Ouzou, durant les années 1990. Il ajoutera : « Nous avons fait pression sur la présidence de la République de l'époque, pour que la durée du cursus scolaire en Kabylie soit augmentée d'une année, soit interdire toute exclusion d'élève avant l'âge de 17 ans », se rappelle-t-on. Le même scénario catastrophe risque de se reproduire cette année. Ce qui se ressentira plus dramatiquement en Kabylie qui, outre l'année blanche 1994-1995, a également vécu une année en pointillé en 2000-2001 des suites du fameux printemps noir. Ahcène Tahraoui, R. Oussada