Mardi dernier, en soirée, le public des Ateliers Sauvages a pu comprendre comment l'Algérie n'a pas généré un mouvement d'art mural similaire à celui du Mexique au début du XXe siècle avec ses maîtres de la fresque populaire, Rivera, Siqueiros et Orozco. Toutes proportions gardées et à contextes différents, les expériences menées par Denis Martinez et ses étudiants au milieu des années 80' portaient pourtant en elles des bourgeons qui auraient pu y conduire. La sortie aux éditions APIC du beau livre de Dominique Devigne, A peine vécues, a donné lieu à une rencontre vivante marquée par le souvenir et la réflexion. Compagne de Martinez, l'auteure a suivi pas à pas ces expéditions picturales à ciel ouvert et les a restituées fidèlement. La belle aventure artistique (et pédagogique, car menée à partir des Beaux-arts d'Alger), a connu trois escales : Blida, centre-ville, 1986 ; In Amenas, base Sonatrach, 1987 et, la même année, l'Université de Soumaâ-Blida, alors en fin de chantier. La projection des photos et leur commentaire par Denis Martinez et plusieurs anciens étudiants a permis de découvrir, avec des anecdotes aussi désopilantes qu'instructives, les circonstances et le déroulement de ces projets et de les situer dans leur contexte où, coïncidence, l'Algérie subissait sa première crise pétrolière. Ce fut aussi un regard rétrospectif sur l'Ecole des Beaux-arts (devenue «supérieure» en 1985) dont les intervenants ont souligné la dégradation du niveau et de l'esprit. Ce fut enfin, comme prévu, un hommage à Ahmed Asselah, directeur de l'établissement de 1982 à 1994, assassiné avec son fils, étudiant, par des terroristes. Sans cet homme de valeur, auparavant administrateur de l'Action culturelle des travailleurs (ACT) sous tutelle du ministère du Travail) et donc de la troupe théâtrale de Kateb Yacine, jamais les expériences picturales de Blida et In Amenas n'auraient pu avoir lieu. Au chapitre des désolations, on retiendra que toutes ces œuvres ont été effacées, prélude aux crispations et interdits à venir. Pour Blida 1, par exemple, des mains nocturnes avaient surpeint les visages. On notera aussi que sur les 29 étudiants et étudiantes, plus de la moitié (16) sont installés à l'étranger et, même si certains font de brillantes carrières, tel Driss Ouadahi à Düsseldorf, cela confirme la force d'un exode artistique bien connu. On parle de plus en plus d'art-street, mais comme l'affirmait l'éditrice Khadidja Chouit dans ces colonnes (04/03/17), il s'avère que beaucoup de choses qui paraissent nouvelles dans notre pays ont préexisté sous d'autres formes. «Capitaliser les expériences, a conclu Martinez, peut amener à avancer plus vite et mieux».
Dominique Devigne, A peine vécues… Trois actions picturales expérimentales (1986-1987) sous la direction de Denis Martinez. Préface de Nourredine Saadi. APIC, Alger, 2017/Les Ateliers Sauvages. 40, rue Didouche Mourad, Alger.