Quand le 9e art s'empare de l'histoire,cela peut donner des albums explosifs. La bande dessinée, par son côté ludique et ses dialogues pétillants, peut s'avérer une redoutable arme pédagogique, capable de pulvériser les idées reçues et les amnésies collectives bien entretenues. L'album Au nom de la bombe, signé par les deux compères Albert Drandov et le dessinateur Franckie Alarcon, revient sur l'histoire des essais nucléaires français effectués en Algérie et en Polynésie française dans le Pacifique. Cette aventure morbide démarre le 13 février 1960 à 7h04 dans le Sahara algérien. Reggane est devenue, par la force des choses, un nom qu'on associe à la première explosion atomique française. En dix chapitres, avec une succession de planches très significatives, le lecteur s'enfonce dans l'horreur de la raison d'Etat. C'est ainsi que l'on fait connaissance avec le soldat Gérard Dellac, qui, six jours après l'explosion, est envoyé sans protection sur le Point Zéro planter le drapeau tricolore dans une zone à haut taux de radioactivité, juste pour satisfaire un orgueil nationaliste démesuré. Le 1er mai 1962, pour donner un grand retentissement médiatique à la deuxième bombe atomique française, c'est le ministre des armées, Pierre Mesmer, qui est convié à assister au festin atomique. Installé avec les convives à quelques encablures du Point Zéro, les dessins de Alarcon rendent avec une grande perspicacité la fébrilité de l'assistance, en attente d'un spectacle grandiose. L'explosion souterraine déborde de sa trajectoire pour souffler tout sur son passage. La panique s'empare de l'assistance et le spectacle débouche sur des scènes d'horreur où l'on va déplorer la disparition de neuf appelés du contingent. Mais avant d'arriver à cette deuxième expérience de In-Ikker, la France a organisé des manœuvres sur le site de la première explosion pour voir l'impact physiologique et psychologique produits sur l'homme par l'arme atomique. Ces cobayes humains ne seront jamais au courant des doses radioactives qu'ils ont reçues et auront pour récompense un mois de permission. Les conséquences de cette exposition à l'arme atomique seront funestes pour certains, comme le soldat Bernard Lécullé. Les deux bédéistes s'appuient sur le témoignage de sa femme, quarante après sa mort, dans des conditions atroces, et son combat pour obtenir la reconnaissance de la hiérarchie militaire. L'autre catégorie de cobayes qui a souffert est celle des PLO, soit les « populations laborieuses des Oasis » ! Ce sont les Algériens qui ont travaillé sur le site nucléaire et qui ont hérité de différentes maladies graves, transmises même à leurs enfants. Au nom de la bombe décrit avec beaucoup de justesse les ravages des essais atomiques sur des populations civiles des anciennes colonies françaises. Cette justesse fait de cette œuvre une autre pièce à charge à verser au dossier des crimes coloniaux impunis et occultés. Albert Drandov et Franckie Alarcon. Au nom de la bombe. Editions Delcourt, Paris, 2010.