Pratiquement chaque automobiliste qui passe, et ils sont nombreux à emprunter cette route qui serpente au milieu de la célèbre forêt de Yakouren, ralentit ou s'arrête carrément pour glisser son obole. «Qu'est-ce que vous êtes en train de faire, vous et vos amis, mademoiselle ? C'est une quête pour un malade ?» «Non, c'est une opération de volontariat pour nettoyer la forêt de Yakouren». «Ah, c'est bien. Que Dieu vous vienne en aide». Les pièces de 10, 50, 100 ou 200 DA tombent dans la caisse de carton avec un joli tintement métallique. Nous sommes le samedi 15 juillet, à Yakouren, et Dehbia Fekrache, 19 ans, est étudiante en tamazight à l'université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou. Elle est également membre de l'association Axxam n Dda-Ali (La maison de Dda Ali) qui a initié une action de volontariat pour le nettoyage pendant deux jours de la forêt de Yakouren. Une centaine de bénévoles pour une tâche qui s'avère titanesque. Autant dire que c'est le nettoyage des écuries d'Augias, des fameux 12 travaux d'Héraclès. Cela fait deux jours qu'ils sont courbés à ramasser les ordures, se frottant aux ronces et aux épineux comme des sangliers à la recherche de leur pitance. Gantés de gris et chaussés de bottes en caoutchouc, ils ramassent courageusement une panoplie de déchets qui vont de la couche usagée jusqu'à la bouteille de jus périmée et gonflée qui risque de leur exploser à la figure. Au bout de deux jours d'un véritable travail de forçat, les voilà posant, tout sourire dehors, au bord de la route. Comme des chasseurs qui achèvent une battue victorieuse, ils posent triomphalement devant leur butin : des cadavres de bouteilles et de canettes de bière par centaines de milliers, des pneus usagés et de gros sachets poubelles débordant de détritus hétéroclites. Eux, ce sont les jeunes membres de l'association Axxam n Dda-Ali de Tizi Rached et les bénévoles qui ont répondu à leur appel, publié sur Facebook, pour un volontariat de deux jours de nettoyage de la célèbre forêt de Yakouren. Une action initiée avec l'infatigable militant écologiste Amar Adjili, qui s'est fait connaître par des actions solitaires de nettoyage des plages. Des journalistes militants, à l'image de Meziane Abane, Idir Tazerout et Arezki Ibersiene, ainsi que de simples citoyens soucieux de propreté ou épris d'écologie se sont joints à eux. Une véritable catastrophe écologique Selon Youcef Adjoud, vice-président de l'association Axxam n Dda Ali, l'idée a germé après un petit nettoyage à Yakouren, environ une semaine avant le Ramadhan. «Nous avons pris conscience de l'ampleur de la pollution de cette belle forêt. En fait, nous sommes en présence d'une véritable catastrophe écologique. Et c'est ainsi que nous avons décidé d'une grande action en collaboration avec Amar Adjili.» Tout le monde concède volontiers qu'il faut des actions de nettoyage régulières pour venir à bout de ces montagnes d'ordures. «C'est vrai qu'on ramasse ces ordures, mais derrière ça continue de polluer. La meilleure façon est donc de sensibiliser. Il faut également pénaliser les actes de pollution et d'incivisme», dit-il. Pour finir, Youcef Adjoud lance un appel à tout mécène, toute association ou tout organisme qui pourrait mettre à leur disposition des bacs à ordures ou des poubelles à disposer sur les bords de la route ou dans les aires de repos où s'arrêtent les gens pour des pique-niques. Les jeunes membres de l'association représentent une nouvelle génération sensibilisée à la protection de l'environnement et au respect de la nature. Ils ont des avis très tranchés là-dessus. Pour Dalia, 19 ans, étudiante en informatique, «la moindre des choses est que les gens qui viennent ici repartent avec leurs sachets poubelles». Pour Ramdane et Samir, il s'agit surtout de donner le bon exemple. «C'est un premier pas pour que les autres suivent», disent-ils. Sara, 20 ans, plaide pour la criminalisation de l'acte de polluer. «La nature est notre mère. Il faut la protéger», dit-elle. Le sort de la forêt de Yakouren est symptomatique de ce que vit le pays. En quelques années, elle est passée du statut d'écrin de verdure à celui de vaste dépôt d'ordures. Ce joyau de la nature est victime d'un afflux massif de touristes bruyants et indélicats qui laissent systématiquement derrière eux leurs poubelles. Elle est également victime d'automobilistes indélicats qui jettent leurs bouteilles et leurs canettes de bière par-dessus bord. En dernier lieu viennent les commerçants sans scrupules, puis les collectivités locales dont les premiers responsables, tout aussi dénués de scrupules, ont créé des décharges sauvages au milieu de la forêt. Avec leurs nouvelles habitudes de consommation et leur incurable incivisme, en quelques années les Algériens ont réussi le triste exploit de faire de leur pays l'un des plus sales au monde. Respect du végétal, de l'animal et de l'humain Farid Adjoud est le président de l'association Axxam n Dda Ali (La maison de l'oncle Ali). C'est l'histoire d'un homme qui a construit une maison au village avant d'émigrer en Amérique pour s'y installer et qui a décidé de mettre son bien à la disposition de l'association de son village. Il y a trois ans, des membres de l'association sont allés le voir dans sa lointaine Amérique pour officialiser devant notaire cette mise à disposition de la maison au profit d'un projet associatif. Depuis, la maison est une ruche qui bourdonne d'activités culturelles et récréatives : cours de soutien aux élèves, volontariat d'intérêt général, ateliers de musique et de théâtre, bibliothèque, résidences d'artistes, la liste est très longue de ce que l'association met au service de ses membres et des citoyens de la région. «Ici, nous enseignons le respect de l'animal, du végétal et de l'humain. Nous sommes une association culturelle et éducative d'éveil à l'écocitoyenneté», dit Farid Adjoud. A la fin de la journée, avant de quitter les lieux, les bénévoles prennent une dernière pose devant les déchets en chantant à tue-tête ; «One, two, three, nettoyons la Kabylie ! One, two, three, nettoyons l'Algérie !».